Pourquoi opposer encore et toujours qualité et rentabilité quand on a le Jidoka ?

Pourquoi opposer encore et toujours qualité et rentabilité quand on a le Jidoka ?

Le monde de l’industrie fait l’objet d’un paradoxe : améliorer la rentabilité est une préoccupation permanente, alors que les coûts de non-qualité et ceux consacrés à leur traitement sont toujours plus importants. Pourtant, pour développer la compétitivité de nos entreprises, il serait tout à fait possible de réfléchir à d’autres façons de produire en utilisant la pensée Lean et notamment le principe d’arrêt au défaut (Jidoka).

Un exemple récent vécu sur le gemba illustre bien cette situation. Dans un site industriel, comme chaque matin, le responsable de la production effectue sa routine quotidienne dans ses ateliers. Les indicateurs montrent des coûts de production en hausse et une augmentation des défauts qualité et du rebut, mais étrangement aucune action d’éradication, pas même de résolution de problème, n’est visible sur le sujet. Le responsable indique d’ailleurs ne pas savoir comment attaquer cette problématique. Le tour se termine par une curiosité de son site : son « gemba scrap », le lieu où sont rassemblés les produits défectueux de la veille.

Dans une zone bien délimitée, tous les rebuts et produits défectueux sont parfaitement identifiés, enregistrés, soigneusement classés et organisés en bacs – à tel point qu’en l’absence de défauts apparents, on pourrait croire qu’il s’agit de produits finis prêts à être expédiés. Ce responsable a bien compris qu’il ne saurait retrouver la rentabilité sans diminuer ces rebuts. Accompagné d’un contremaître et de son ingénieur, il mène donc chaque jour une analyse des produits défectueux sur cette zone pour essayer de comprendre l’origine des défauts.

Pourquoi avoir produit de telles longueurs défectueuses sans arrêter la ligne de production ? Le responsable de la production explique que « dans notre industrie, on ne peut pas arrêter la production, c’est beaucoup plus rentable de fonctionner ainsiTout le monde pratique ainsi, même les concurrents. »

 

Comment se déroule concrètement l’identification et le traitement des produits défectueux dans cette usine ? Un opérateur localise le défaut à l’aide d’un ruban de couleur, termine sa production, l’identifie en sortie de ligne de production, l’isole, l’enregistre et le fait placer en zone d’attente de décision. Lors de la routine usine du jour suivant, l’équipe de management planifie l’immobilisation d’une ligne de production pour dérouler le produit, visualiser le défaut et prendre une décision entre « responsables » qui consiste soit à détruire le produit, soit le retravailler, soit encore considérer le défaut comme acceptable suivant les critères du client. Si le défaut est considéré comme réparable, le produit est à nouveau transporté en zone de quarantaine où il attend son retraitement puis une immobilisation de ligne est planifiée pour refabriquer la portion défectueuse.

Rentable ? Le responsable de production pose le calcul du coût total de cette opération. Il s’élève globalement à 4 000 €, en tenant compte du fait que le premier défaut n’ayant pas été traité et résolu, il s’est également reproduit sur la série suivante ! Il pose ensuite le calcul de ce qu’aurait couté un arrêt au défaut. A sa grande surprise, cette option ne lui aurait coûté que 600 €.

Ce surcoût de 3 400€ correspond en définitive au coût d’une décision centrale, portée par le seul management, de poursuivre la production d’un produit défectueux. Sans compter les coûts induits : livrer le client en retard, immobiliser une ligne déjà saturée et priver les équipes d’une occasion d’apprendre à identifier les causes des défauts, à évaluer leur gravité et à les corriger.

Quelle est l’alternative que nous propose le Lean dans ce cas de figure ? C’est de s’appuyer sur le principe du Jidoka inscrit dans la maison du TPS, c’est-à-dire l’arrêt au défaut. L’intention du Lean est premièrement de ne jamais fabriquer de défaut, pour éviter les gaspillages de matière, d’outils, d’énergie, de compétences, … et deuxièmement d’essayer d’apprendre de chaque problème rencontré dès que celui-ci se produit et non de façon post mortem car il sera alors beaucoup plus difficile d’en comprendre l’origine pour l’éradiquer.

Dans le cas de notre usine, cela supposerait d’abord de faire en sorte que les équipes puissent apprendre à détecter les défauts sur la ligne de production, c’est-à-dire affiner leur connaissance de la fabrication et leur compréhension de ce qu’est un « bon produit » versus un « mauvais produit » ainsi que les conditions nécessaires pour obtenir des produits de qualité. Ensuite, ce serait leur donner la capacité de pouvoir arrêter la ligne le cas échéant pour ne pas poursuivre la production du produit défectueux. Ce serait enfin les engager dans la résolution de problèmes pour faire en sorte que la situation ne se reproduise plus – un fabuleux levier d’apprentissage et de motivation au travail.

Alors nous nous interrogeons. Si le Lean en général et l’arrêt au défaut, dans notre cas particulier, permettent d’améliorer fortement la productivité d’une part et de développer le capital immatériel de l’entreprise d’autre part, pourquoi nos entreprises en recherche de profit sont-elles aussi frileuses à réfléchir et à expérimenter ces pratiques de travail, largement éprouvées par ailleurs ?

Est-ce uniquement un problème culturel, comme le suggérait le responsable de production ? Ou bien davantage une question relative au modèle managérial centenaire renforcé par le mode d’action court-termiste qui prévaut dans les entreprises, au détriment de la construction d’une confiance mutuelle au sein des équipes reposant sur une vision de plus long terme ?

 

Aurore Xemar et Anne-Lise Seltzer

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Un commentaire

  • Watrin Michel

    Bonjour,
    De mon point de vue, les formations données sur ce sujet ont tendance à donner trop d’importance aux outils et aux théories, plutôt qu’au management. L’aspect culturel correspond à l’obstacle principal, le taylorisme à la peau dure!

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