Sensei et Respect

Cher Gemba coach, Si le Lean est basé sur le respect des gens, pourquoi les visites de terrain par les senseis sont-elles tant redoutées ?

Question difficile – en partie parce-que précisément, le Lean est basé sur le respect.

Qu’entendons-nous par « respect » ?

Premièrement, faire de notre mieux pour comprendre le point de vue de l’autre personne sur la base de son expérience. Deuxièmement, s’assurer qu’elle puisse travailler en sécurité sans se sentir harcelée. Troisièmement, s’engager dans son développement en vue de soutenir sa réussite. Mais que faire si la personne s’arc-boute dans une attitude dont nous pensons qu’elle aboutira à coup sûr à un échec ? Le senseï pointe du doigt les muri, mura et muda pour amener les gens à découvrir la prochaine zone de développement personnel. Un senseï ne vous dira pas comment résoudre un problème. Il va vous aider à voir les problèmes dont il pense que leur résolution vous aidera à grandir. Il peut aussi vous enseigner un outil pour vous permettre d’explorer le problème par vous-même. Par exemple, il vous dira d’arrêter la ligne au premier défaut pendant quelques heures pour voir ce qui arrive. Ou bien d’essayer un vrai flux pièce à pièce (et pas 3 pièces à 3 pièces) pendant un shift, et voir ce qui se passe. Essayez de diviser par deux la taille de lot. Essayez de laisser une équipe organiser sa propre zone de travail par la pratique du 5S, etc. … le senseï ne vous dit pas quoi faire, il vous dit comment explorer votre problème selon la tradition Lean. Cela dit, l’hypothèse de base est que le manager qui prend un senseï accepte les postulats de base, qui sont :

– (1) le senseï a quelque chose de valide à lui montrer,

– (2) en suivant l’exercice proposé par le senseï, l’apprentissage qu’il en retirera pour lui-même lui permettra d’améliorer sa performance.

Ces hypothèses ne sont pas toujours admises. Un sensei, ça énerve ! Récemment, le directeur des opérations d’une grande entreprise industrielle et son sensei Lean ont fait un gemba dans une usine pilotée par d’excellents pompiers. La perception du directeur était que le manager de l’usine avait réalisé un excellent boulot en transformant l’usine, mais la performance n’était pas terrible (même si elle n’était plus désastreuse, elle était en queue de peloton), et il fallait faire mieux. Durant la visite de terrain, quelques problèmes ont été relevés, notamment des problèmes de sécurité (équipement électrique ouvert car le ventilateur de refroidissement était en panne), de qualité (des produits mis en quarantaine depuis plusieurs semaines et non analysés), du travail par lots, et des défauts dans la maintenance d’équipements critiques.

Le patron de l’usine expliquait ses difficultés, sans remettre en cause le fait que ce qui était relevé était en réalité un problème – pas question là de difficultés.

Cependant, durant le debrief, il n’a endossé la responsabilité sur aucun des problèmes qui avaient été relevés. Le ventilateur de rechange avait été commandé, mais la commande n’avait pas été validée par le top management car il était trop cher, le problème de qualité n’était pas traité car le département ingénierie, qui ne dépendait pas de lui, n’avait pas pris la peine de se déplacer pour inspecter les produits défectueux, le travail par lot était la seule manière de garantir les sorties de produits car la faible fiabilité des équipements ne permettait pas de faire du pièce à pièce, la maintenance était impossible avec le faible budget et l’équipe de maintenance qu’il avait à sa disposition, etc. …

Le directeur des opérations essaya de lui expliquer que ce qu’on attendait de lui, c’était d’apprendre à mieux travailler avec les autres (le corporate, l’ingénierie, la maintenance, etc…), plutôt que de pointer les coupables en permanence, attitude qui faisait des émules dans son équipe, au point de plomber la performance de son usine. Mais le responsable de l’usine s’énervait de plus en plus, blâmant le senseï pour son arrogance et son ignorance, ainsi que pour son manque de respect pour ses efforts démesurés pour sauver l’usine… et il finit par quitter la salle en claquant la porte.

Et après ? Je ne sais pas. Toutes les visites de senseïs ne sont pas rudes. La plupart de celles auxquelles j’ai assisté sont inconfortables, mais également très intéressantes et enthousiasmantes. Toutefois, il n’en reste pas moins que le boulot du senseï, c’est de montrer du doigt ce que vous ne regardez pas, et tout être humain a tendance à rechigner à voir les choses d’un autre angle de vue, ou bien à voir des choses qu’il avait ignorées jusque-là. C’est précisément parce-que le Lean respecte l’expérience des personnes et leur point de vue qu’au lieu de leur ordonner simplement de faire les choses, on les leur montre dans l’espoir qu’elles vont s’approprier cette zone de développement personnel et imaginer de nouvelles manières de faire les choses. Mais ne nous y trompons pas, ce processus d’apprentissage n’est jamais aisé :

– Faire face au problème : d’abord, il faut accepter qu’il y a un problème là où vous n’en voyez pas. Cela m’est arrivé plusieurs fois, et personne n’aime qu’on lui montre qu’il est complètement à côté de la plaque ;

– Cadrer le problème : il faut ensuite remettre en question votre manière d’aborder le problème et tenter une approche différente (essayez donc d’expliquer le pièce à pièce à quelqu’un qui a travaillé par lots toute sa vie)

– Résoudre le problème : et enfin, il faut réussir la tâche difficile de résoudre un problème nouveau sans ressources additionnelles, et de patauger quelque temps avant de trouver une prise sur le sujet.

Respect et refus d’apprendre

Certains comprennent l’utilité de la découverte des problèmes, les voient comme autant d’opportunités d’apprentissage, car ils savent qu’il y a toujours plusieurs façons de voir une même situation (l’éléphant que vous croisez dans le noir n’est pas seulement constitué de pattes, d’un ventre et d’une trompe, mais il a aussi des oreilles, des défenses, une queue, etc. …) . En réalité, ils aiment apprendre et améliorer leur maîtrise. D’autres ne le comprendront jamais. Cela ne signifie pas qu’ils sont mauvais – ils feront ce qu’ils savent faire – mais cela crée certainement un problème de leadership dans un contexte Lean.

La vraie question est donc : comment respecter quelqu’un qui refuse d’apprendre dans un contexte Lean? Si notre manière d’aider les gens à réussir consiste à réduire le scope de ce que nous leur demandons jusqu’à ce qu’ils soient dans leur zone de confort, je doute qu’ils perçoivent cela comme un succès. Il n’y a pas de réponse simple, et pour être honnête, je n’ai aucune certitude. Ce dont je suis sûr, c’est :

– (1) le respect des personnes est un des piliers de la pensée Lean,

– (2) le Lean commence par l’engagement de chacun dans son propre développement. Quand ces deux postulats entrent en collision, l’environnement peut devenir tumultueux, et je n’ai pas de réponse toute faite, sinon d’essayer de gérer chaque situation au cas par cas en faisant le maximum pour ne pas manquer de respect, même s’il est improbable que le résultat soit satisfaisant à la fin.

Traduit de l’américain par François Lopez

Source : http://www.lean.org/balle/DisplayObject.cfm?o=3050

 

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