Poser les bonnes questions. Bien-sûr, mais comment ?

Poser les bonnes questions. Bien-sûr, mais comment ?

RESUME – Cet article de Michael Ballé et Agnès Nicolas, paru dans Planet-Lean explique ce que cela signifie de « poser les bonnes questions » et pourquoi la voie du succès passe par la connaissance des problèmes, au lieu de se demander si les solutions sont les bonnes ou mauvaises.

Les avancées décisives, nous dit-on, sont obtenues en posant les bonnes questions. De nos jours, il existe tellement de réponses possibles que les innovateurs apprennent à valoriser plutôt les questions, car ils ont compris que c’était là qu’était la source de l’innovation. Mais quelles questions poser?

Les entrepreneurs que nous connaissons pensent en termes d’essai-erreur. Regardez leurs tableaux blancs ou leurs présentations et vous verrez leurs objectifs – ce qu’ils veulent réaliser – et leurs plans – ce qu’ils essaient actuellement de faire pour y parvenir. Ils valorisent l’agilité dans le sens où, si une approche ne fonctionne pas, ils doivent rapidement essayer autre chose. Et en effet, c’est la façon la plus intelligente de résoudre les problèmes complexes. Plutôt que de considérer un problème comme un obstacle, un rocher sur le chemin qu’il faut faire sauter ou découper en tranches, vous le voyez comme une forteresse que vous pouvez faire tomber si vous trouvez un moyen d’y entrer.

Tentez quelque chose, si ça ne marche pas, essayez autre chose. Cette approche est parfois appelée « fail fast ». Son seul inconvénient est que le capital financier et humain est rarement illimité. Chaque fois que vous essayez quelque chose, vous utilisez des ressources et, il ne faut pas le négliger, vous entamez votre crédibilité. En d’autres termes, vous avez intérêt à accumuler des succès visibles pendant que vous échouez ailleurs, car assez rapidement, les gens cesseront tout simplement de vous laisser jouer. La vraie valeur actuelle de votre objectif est le gain qu’il représente multiplié par la probabilité de l’atteindre :

Valeur réelle actuelle = objectif de gains x probabilité de l’atteindre.

Cette probabilité dépend de la manière dont vous vous y prenez :

Méthode d’apprentissage -> probabilité de réussite

Jeter son chapeau par terre et forer là où il atterrit est une excellente façon de forer si l’on se trouve au-dessus d’un gisement de pétrole. Si ce n’est pas le cas, c’est tout simplement insensé. Lorsque vous vous trouvez au-dessus d’un gisement de pétrole ou d’une mine de diamants (choisissez la métaphore minière que vous voudrez), la méthode expérimentale est effectivement une excellente façon de procéder, car tôt ou tard, vous trouverez le bon moyen d’obtenir votre réponse. Cela suppose que vous cherchez déjà au bon endroit. C’est ce qu’on appelle « faire des hypothèses ». Bien sûr, nous faisons des hypothèses – c’est ainsi que nous pensons. Mais si nous n’apprenons pas à les remettre en question de manière productive (et à ne pas être paralysés par ce questionnement), tout ce que nous ferons ne sera que trouver différentes manières de regarder au même endroit.

Notre esprit n’est pas une feuille blanche qui, d’une façon ou d’une autre, absorbe l’environnement qui l’entoure, analyse et produit des « idées ».

poser les bonnes questions

Nos cerveaux sont des machines de projection actives qui testent nos hypothèses sur l’environnement sous formes d’idées et voient si elles sont adaptées, ou non :

Nous regardons le monde à travers le prisme de ce que nous avons l’intention de faire, et ce que nous voyons n’est pas la réalité, mais une simulation permanente de la réalité sur le logiciel de notre cerveau – c’est pourquoi nous sommes souvent surpris par quelque chose qui était là depuis le début, mais que nous n’avions simplement pas remarqué. Au fur et à mesure que nous remarquons ces erreurs, nous corrigeons nos simulations (ou pas) et, semble-t-il, la nuit, le cerveau élague toutes les branches fragiles que nous avons développées, ce qui explique pourquoi vous pouvez apprendre quelque chose un jour et l’avoir oublié le lendemain matin. C’est simplement que cela n’a pas été imprimé assez profondément.

Nos pensées conscientes proviennent de modèles mentaux moins conscients, des cartographies mentales peu structurées du fonctionnement du monde, basées sur des croyances et des intentions profondément ancrées, que nous projetons sur une situation sous la forme d’idées que nous testons par la suite.

poser les bonnes questions

Bien que notre connaissance des faits soit presque infinie et que nos idées nous paraissent nouvelles à chaque fois, nos modèles mentaux les plus profonds se révèlent généralement assez simples et très, très tenaces. C’est pourquoi même les personnes les plus intelligentes sont capables de répéter la même erreur encore et encore. Elles ont l’impression d’essayer quelque chose de nouveau à chaque fois, mais leur modèle mental sous-jacent n’a pas changé. Tant que ce modèle mental correspond à la situation, tant mieux – l’une de ces idées fonctionnera. Mais lorsqu’il n’est plus en adéquation avec la situation, alors vous pourrez expérimenter autant que vous voudrez, aucune idée ne fonctionnera.

Poser les bonnes questions signifie apprendre à remettre en question les hypothèses de nos modèles mentaux profonds – ce que nous prenons pour vrai et qui ne l’est pas.

Cela semble assez simple mais, en pratique, c’est très difficile à faire pour deux raisons. Premièrement, nous sommes rarement conscients de nos propres modèles profonds. Bien sûr, nous savons que nous avons des croyances profondes, et nous savons que nous nous identifions à des groupes qui partagent certaines de ces croyances profondes, comme les progressistes ou les conservateurs, les ingénieurs ou les promoteurs, etc. Mais essayez d’appliquer votre propre modèle mental à tout va et vous découvrirez que, bien qu’ayant l’impression de connaître votre propre pensée, lorsque vous essayez de la mettre sur papier, un brouillard de confusion et d’incertitude tombe et rien de ce que vous dessinez ou écrivez ne tient. Votre pensée n’est sûrement pas si simpliste, n’est-ce pas ? En fait, elle l’est. Par exemple, si vous pensez « être poli avec les gens, ça marche » ou bien « être poli avec les gens, ça ne marche pas », votre esprit produira une myriade d’exemples où « poli » et « ça marche » ont des significations différentes, et où vous avez un peu raison et un peu tort – sans jamais changer cette croyance fondamentale. Toutes les idées que vous produirez dans un contexte donné découleront de cette hypothèse, que, étant intelligent, vous adapterez à la situation, par exemple : « Être poli avec les gens, ça marche, mais pas avec ce crétin. »

La deuxième raison est que les modèles mentaux sont tenaces et que votre propre esprit luttera contre vous pour vous empêcher de les reconsidérer. Le cerveau valorise vraiment la fluidité, ce qui est facile à traiter, car c’est peu gourmand en énergie et en glucose. Par conséquent, ce qui est facile à traiter (habituel) semble plus vrai, plus juste, meilleur. C’est un sentiment. Qui plus est, nous faisons généralement partie d’un groupe de pairs qui partagent dans une large mesure nos modèles mentaux de base, de sorte que notre esprit peut nous montrer les preuves que cette hypothèse est correcte sans jamais avoir à la formuler. Regardez autour de vous : tout le monde ici porte des cravates/personne ici ne porte de cravates. L’esprit s’accroche à ses hypothèses et vous les cache, comme un mot sur le bout de la langue, et il faut un réel effort pour les formuler. Lorsque vous faites cela, la première réaction de votre esprit sera défensive : je ne pense pas vraiment cela, si ?

Un véritable apprentissage ne peut avoir lieu que si vous avez modifié un aspect d’un modèle mental profondément caché – ce qui signifie projeter des idées différentes sur le monde et expérimenter des choses nouvelles.

Poser les bonnes questions, c’est remettre en question nos hypothèses afin de modifier nos modèles mentaux et de les adapter en permanence à l’évolution des situations. C’est la fameuse capacité à « changer d’avis », à avoir des « idées révolutionnaires » ou des « éclairs de génie » que nous admirons tant chez les innovateurs (du moins ceux qui réussissent). Mais comment pouvons-nous cultiver cette capacité si nous devons lutter contre notre propre esprit pour l’obtenir ?

La réponse évidente, c’est qu’il faut être curieux et ouvert d’esprit – plus nous exposons ce dernier à des points de vue et des faits différents, plus nous risquons de tomber accidentellement sur une illumination qui change notre façon de penser. Mais compter sur le fait que cela se produise par hasard n’est guère une méthode.

L’astuce consiste à changer notre modèle d’apprentissage. Nous pensons intuitivement que l’apprentissage consiste à passer d’une solution à une autre, d’une solution médiocre à une meilleure solution. L’école ne se préoccupe que des réponses. Le programme scolaire commence par des réponses simples et nous apprend progressivement des réponses plus complexes ou complètes. Il n’est pas surprenant que nous envisagions l’apprentissage de cette manière : passer d’une réponse à l’autre jusqu’à ce que nous trouvions les « meilleures » réponses que nous pouvons utiliser en toute confiance. Malheureusement, bien qu’extrêmement pragmatique (après tout, nous devons faire quelque chose), la recherche de réponses ralentit en fait l’apprentissage. Elle nous amène à mieux explorer l’espace d’un modèle mental – comme si nous étoffions les détails d’une cartographie mentale – mais elle ne nous aide pas à modifier la carte en elle-même. Comment s’y prendre ? En connaissant mieux les problèmes plutôt que les solutions. La recherche de réponses nous amène à examiner les solutions et à les évaluer pour comprendre laquelle est la meilleure. Nous pouvons radicalement recadrer cela en nous demandant : qu’est-ce que cette solution nous a appris sur le problème ?

En concentrant notre apprentissage sur notre compréhension du problème plutôt que sur notre éventail de solutions, nous sommes beaucoup plus proches de la clarification de nos modèles mentaux : qu’est-ce que je comprends de ce problème et qu’est-ce que je ne comprends pas ? Quels aspects m’échappent complètement parce qu’ils ne font pas partie de ma manière de penser ?

Se concentrer sur la compréhension du problème présente l’avantage supplémentaire de structurer les courbes d’apprentissage, ce que ne permet pas le passage aléatoire d’une solution à l’autre. Grâce à une compréhension du problème toujours meilleure, nous pouvons mieux reconnaître la spécificité de chaque situation et ainsi orienter nos nouvelles idées et nos nouvelles solutions pour tester et cumuler les apprentissages. La question n’est plus « qu’est-ce qui a fonctionné/pas fonctionné avec cette solution ? » mais « qu’avons-nous compris/pas compris du problème ? ». Il ne s’agit plus de chercher différents chemins pour pénétrer dans la forteresse mais d’apprendre sur la forteresse elle-même.

L’autre avantage d’examiner les problèmes plutôt que les solutions est le fait que les connaissances sont transférables. La plupart des solutions sont limitées à un contexte très spécifique. En revanche, les problèmes typiques se posent généralement dans une grande variété de contextes – ils sont mobiles. Un éventail de problèmes vous donnera une base de connaissances bien plus large qu’un répertoire de solutions. Cela signifie qu’à mesure que vous étudiez le problème en essayant différentes solutions, vous augmentez en fait votre probabilité de réussite globale car les résultats deviennent cumulatifs – au lieu de repartir de zéro à chaque fois. L’échec d’une tentative spécifique est un succès dans la compréhension du problème, et augmente donc votre probabilité de réussite globale.

Par exemple, si nous prenons l’image de la forteresse au sens littéral et que nous imaginons des moyens de la faire tomber, trouver un point faible pour y pénétrer et, à partir de là, ouvrir les portes, c’est un problème typique – il s’applique à toute situation de forteresse et comporte une multitude de réponses, en fonction du contexte spécifique. L’assaut et l’ouverture de la porte constituent un autre problème typique, et ainsi de suite. Comprendre tous les aspects du problème fait de vous un véritable expert, bien plus que d’essayer les solutions les unes après les autres au fur et à mesure qu’elles vous viennent à l’esprit. Par exemple, pour prospérer, les sociétés doivent résoudre des problèmes clés, tels que l’assainissement, l’alimentation, la fiscalité, l’éducation, l’énergie et les transports, l’innovation, etc. Comme nous pouvons le constater avec la réaction à la pandémie de Covid-19, les sociétés qui étudient le problème plutôt que de se concentrer trop tôt sur les solutions (et d’en débattre) obtiennent de bien meilleurs résultats.

Poser les bonnes questions va bien au-delà du « pourquoi ? » et du « comment ? » – il s’agit d’extraire les modèles mentaux profonds qui sont enracinés dans l’esprit des gens (et dans le nôtre) et de faire apparaître les postulats qui doivent être remis en question. C’est une tâche difficile, car les chances de succès sont très minces : vos pairs et votre propre esprit s’y opposeront. La contre-mesure consiste à se concentrer sur la compréhension du problème plutôt que de chercher à savoir si les solutions sont bonnes ou mauvaises. Penser et décrire les problèmes vous rapproche de vos modèles mentaux cachés et vous permet de les modifier plus facilement. En vous donnant pour tâche de comprendre réellement le problème et de créer votre propre bibliothèque de problèmes, vous apprenez également à poser les bonnes questions en cours de route. C’est ainsi que l’on trouve des idées vraiment nouvelles que l’on peut tester – et tirer des enseignements de votre expérience.

Article de Michael Ballé et Agnès Nicolas. Traduction par Nicolas Villemain, Marc-Antoine Guichard et François Lopez.

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