Il n’y a pas de Lean sans kanban

Il n’y a pas de Lean sans kanban

Revenons aux bases pour démarrer 2018 : de la même manière qu’il n’y a pas d’astronomie sans télescope, de biologie sans microscope, de disruption digitale sans Internet, il n’y a pas de Lean sans kanban. Les outils comptent. Les outils sont les leviers qui, appliqués aux bons points d’appui, nous permettent de construire de nouveaux modèles, d’imaginer de nouveaux devenirs, et de réaliser des choses incroyables.

Mais, inversement, nos besoins de cohérence nous font souvent interpréter les outils à la lumière de nos modèles existants et d’hypothèses implicites caduques dont nous ne sommes guère conscients. Combien d’entreprises en sont encore à numériser leurs processus de workflows rigides et massifiés, passant totalement à côté de la véritable transformation digitale que permettent les puissances de calcul actuel ?

Prendre une photo sur son smartphone consiste à 1/ numériser une vue pixel par pixel, 2/ en instantané, 3/ et la connecter à toutes les applications de partage qui permettent de la diffuser au monde entier en quelques clics. Rien à voir avec une image capturée sur pellicule, qui doit être développée avec toutes les autres et qui finit sur papier photo dans un album.

Pour bénéficier de la puissance de transformation de l’outil, il faut tout d’abord bien en saisir le sens – et éviter d’y imposer les sens anciens issus de notre bagage d’habitudes et d’idées toutes faites.

Le kanban n’est pas un outil de gestion de production. C’est un moyen de mesure de la rapidité de réponse à une demande spécifique.

Une carte kanban correspond à un pixel de production (le plus petit lot possible, idéalement du pièce à pièce) : une prestation de dépannage, une pièce, une user story, ou tout autre produit fini à fabriquer, tel cet édito. Le temps qui s’écoule entre la réception de la carte et le rendu, le lead-time, mesure la rapidité de la réponse (et souvent la flexibilité des moyens). Lorsque les kanbans connectent toute la supply chain, mur-à-mur, il est possible de visualiser l’agilité réelle de l’organisation.

Le signal kanban, tout comme le télescope ou le microscope ne dit rien en lui-même. Mais il permet de rendre visible, et donc d’évaluer :

  1. La satisfaction du client à la réception du travail unitaire (content/pas content, ce qu’elle voulait/pas ce qu’elle voulait, en recommande une autre/va chercher ailleurs)
  2. La vitesse de réponse à la demande (tous les moyens étaient-ils dispos là tout de suite, y-a-t-il eu du rework qui a ralenti le rendu, travaille-t-on par lots ?)
  3. Les points d’échouage ou de difficulté dans la chaîne de travail (les « rochers » qui apparaissent quand l’eau du lac descend
  4. Les points techniques qu’il faut apprendre à mieux faire pour répondre plus vite (ce qui se fait facilement bien du premier coup/ ce qui demande des efforts).

Hier à l’Apple Store, j’arrive en avance sur l’heure de rendez-vous, et on me dit de revenir plus tard. A l’heure de rendez-vous, on m’assied au Genius bar, mais j’attends un technicien. Le problème banal sur mon iPhone finit par être réglé, mais je mentionne une difficulté sur le MacBook neuf que j’ai avec moi : des tâches sur l’écran. On me dit qu’il faut reprendre un autre rendez-vous – pas la même spécialité. J’insiste pour voir un responsable. J’attends. J’insiste, pour au final rencontrer quelqu’un de charmant, qui comprend le problème de mon MacBook et le règle sur le champ. Je repars avec deux problèmes réglés (temps de réparation, quelques minutes à chaque fois) au bout de près d’une heure – quel NPS (Net Promoter Score – note de satisfaction client) donner ?

Sous l’angle du temps de traitement de la demande, les problèmes apparaissent différemment : 1/ manque de flexibilité lorsque j’arrive en avance (plein de gens en bleu inoccupés dans le store, mais personne disponible pour m’aider), manque de réactivité une fois que je suis au Genius bar. 2/ Lenteur de diagnostic alors que le problème (poussière dans le connecteur de charge) est ultra banal – la procédure demande de faire tous les tests d’abord. 3/ Manque de flexibilité de compétences lorsque je sors mon MacBook et 4/ défaillance de la chaîne d’aide : me suggérer de reprogrammer un autre rendez-vous plutôt que de tirer la corde andon pour appeler le team leader qui, d’ailleurs, finit par venir pour résoudre la difficulté immédiatement – mais sans former le technicien qui s’est éclipsé.

L’expérience n’est pas vraiment mauvaise, les problèmes clients ont été résolus, mais…

La granularité des problèmes qui ressortent avec le kanban est tellement petite qu’aucun ne peut se résoudre par du design organisationnel. Il s’agit d’énergie, de réactivité, de compétence, d’enthousiasme – le team leader réagit parfaitement mais ne sait pas transmettre cette attitude à ses équipes. Il n’est certainement pas aidé par son propre management dans ce challenge.

Le kanban est un outil de kaizen qui permet à chacun de voir, comprendre et réagir aux problèmes clients qui sont visualisés par les cartes et le lead-time à chaque étape du travail. Ce n’est pas un outil de programmation de la production, c’est un outil d’apprentissage qui permet de sortir de sa zone de confort soit en :

  1. Réagissant plus vite aux kanbans qui prennent plus de temps que normal ;
  2. Diminuant le temps alloué (nombre de kanbans dans le tuyau en production) pour s’approcher de l’instantané.

Le rêve, bien évidemment, est celui de Star Trek – le réplicateur qui fait apparaître la tasse de café devant vos yeux. Les kanbans dans la supply chain visualisent exactement l’écart à ce rêve de science-fiction. Aller vers ce rêve nécessite effectivement des avancées technologiques, comme l’impression 3D, mais également une attitude de tous pour résoudre les problèmes concrets des clients et retirer, partout, la friction causée par les soucis matériels, les opinions infondées et les attitudes bizarres – ce qui ne peut se faire que par le kaizen.

Sans kanban, pas de transformation des têtes, des cœurs et des mains.

 

Michael Ballé

Téléchargez cette newsletter en version PDF.

 

 

 

4 Commentaires

  • giraud

    Bonjour,
    effectivement la question de la satisfaction client est souvent perdue de vue pour beaucoup.
    J’ai rencontré un problème similaire avec un fournisseur d’accès à Internet. Il m’a fallu 3 appels d’une longueur désespérante puis d’un déplacement en magasin (20 min de route) pour enfin débloquer ma box.
    Apres toutes ces mésaventures ils me répondent que: oui ma box à plus de dix ans, que oui ils constatent bien des micro coupures (bon pas tant que ça… pour eux), qu’effectivement les concurrents pourront m’offrir un meilleur tarif; mais que non ils sont vraiment désolés mais ils ne peuvent rien faire pour moi !
    Au moment ou le conseiller prononce cette phrase je me dis qu’ils sont à des années lumière d’un esprit Lean qui consiste (en partie) à satisfaire son client et à vouloir le garder.
    Cette petite anecdote pour confirmer qu’il reste encore beaucoup de progrès à réaliser et un état d’esprit à faire évoluer car apparemment jamais entendu parler de Lean ni de kanban.

  • Marc

    Je ne saisis pas bien.
    Pour moi, la notion de carte KB est associée à une notion de répétabilité. Le nombre de cartes kb et la taille de chaque carte sont déterminés par une analyse statistique qui permet d’affiner stocks et encours pour optimiser le leadtime.
    Ceci fonctionne très bien quand on fait toujours la même chose et n’est plus applicable quand aucune demande ne ressemble à la précédente. De fait, cette note semblerait exclure du lean tout processus de petites séries avec une forte dose de customisation, à moins de considérer tout OF comme une carte KB, et donc la gestion du KB comme de la logistique classique. Pouvez-vous m’éclairer?

  • Richard Kaminski

    Le kanban sert d’abord à voir les problèmes. C’est l’outil qui montre ou la valeur se trouve par rapport au client (avance/retard). Dans le système lean ce n’est pas qu’un système de gestion de production.
    Sur une ligne Toyota, chaque carte kanban est différentes, il n’y pas de répétabilité à 100% des activités/produits.
    Il existe de nombreux systèmes de production (petites ou grandes séries avec des produits différents qui fonctionnent avec des kanbans. C’est une question de paradigme: le kanban dans un système de production traditionnel n’a pas la puissance et le sens qu’il a dans un sytème de pensée lean.

    • Marc

      Bonjour et merci pour votre réponse.

      Cependant, je ne saisis toujours pas. Ce que vous me décrivez me semble être un ordre de fabrication correctement suivi.

      Je travaille dans un système de production traditionnel. Je gère des OF avec un outil de suivi précis qui me donne à chaque instant la situation de chaque OF (statut des pièces, composants manquants, progression de la fabrication basée sur les déclarations des opérateurs, échéance). Pour moi c’est la base de la gestion de production. En tout cas je ne saurais pas faire autrement.

      Ou alors, tel le misanthrope, je fais du lean sans le savoir.

Publier un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Les données collectées par ce formulaire vous permettent de déposer un commentaire sur cet article.
Pour connaître et exercer vos droits, notamment de retrait de votre consentement à l'utilisation des données collectées par ce formulaire, veuillez consulter notre politique de confidentialité.
[an error occurred while processing this directive]
[an error occurred while processing this directive]
[an error occurred while processing this directive]