Une stratégie Lean signifie apprendre quoi améliorer

Une stratégie Lean signifie apprendre quoi améliorer

CHRONIQUE – La stratégie signifie choisir ce qui doit être amélioré, quelles compétences critiques doivent être développées pour résoudre un problème particulier – que ce soit un défaut de qualité ou une pandémie – et le lean est le moyen d’y parvenir.

Depuis la nuit des temps, les humains ont développé des stratégies visant à résoudre des problèmes accablants. Depuis les stratégies employées par les généraux de la Grèce Antique pour défaire des armées ennemies bien plus nombreuses (en s’appuyant sur des hoplites en phalanges serrées) jusqu’à celles employées pour bâtir les cathédrales (proportions et symétries, utilisation de ratios pour développer des géométries et calculer la charge de la pierre), pour conserver de la nourriture, bâtir des nations et, pourquoi pas, combattre des maladies.

Dans le dictionnaire, une stratégie est définie par “un plan d’action développé pour parvenir à un but à long terme ou général ». Nous trouvons cela quelque peu trompeur, dans le sens où cela laisse penser que nous pouvons observer calmement une situation sur le papier, imaginer la meilleure façon d’obtenir le résultat (en général vaincre l’ennemi, la gravité, une épidémie, le changement climatique, etc.) et puis… simplement le faire.

Hélas, la réflexion ne fonctionne pas de cette manière. Les gens observent une situation à travers le prisme des problèmes qu’ils ont l’habitude de résoudre et des opportunités qu’ils ont l’habitude de saisir. Les stratégies innovantes sont des émanations de ce que les gens savent déjà faire, qu’ils soumettent à un nouveau but ou réussissent avec bonheur à appliquer à une nouvelle situation. Vous inventez à partir de ce que vous connaissez, puis poussez au-delà de votre connaissance.

Cette vision de la stratégie s’oppose à la notion traditionnelle de positionnement stratégique de Michael Porter, qui repose totalement sur la découverte d’une niche à exploiter et suppose que les meilleures pratiques opérationnelles ou technologiques peuvent être achetées et implémentées avec facilité par quiconque, comme une marchandise. Au lieu de concourir pour l’intérêt du client, l’adaptabilité, l’efficacité, ou la résilience, la stratégie selon Porter consiste à s’échapper de l’état de concurrence et à chercher des gains de monopole ou de rente. C’est ce que les grandes compagnies de la technologie ont été capables de faire avec succès grâce, en grande partie, à l’absence de supervision politique. Cependant, la plupart des entreprises n’ont ni l’influence ni l’opportunité d’atteindre ou de maintenir une situation de monopole.

Dans la vraie vie, les stratégies émergent en s’appuyant sur quelque chose que vous maîtrisez déjà pour développer une nouvelle manière de faire qui réponde aux besoins d’une nouvelle situation. Les produits innovants ne sortent pas de nulle part : ils sont le résultat d’itérations dans la réadaptation de techniques connues, employées d’une manière inédite. Utilisons un exemple proche de nous : la technologie hybride essence-électrique que Toyota a utilisée pour développer la Prius était connue de tous les constructeurs automobiles, mais Toyota l’a poussée un cran plus loin, ce qui a bouleversé le marché automobile. La technologie des batteries Tesla est connue de tous ses concurrents, mais Elon Musk l’utilise d’une nouvelle manière afin de créer une marque automobile tout électrique.

Les stratégies qui réussissent ne consistent pas à décider de ce qui est la bonne chose à faire mais à choisir la bonne compétence à améliorer. Nous pouvons le voir de nos propres yeux, avec la pandémie COVID-19. Tous les pays possèdent la même information mais chacun choisit une approche différente pour s’attaquer au problème. Certains, comme la Chine et d’autres nations d’Asie ont choisi de s’améliorer dans l’identification et l’isolement des porteurs du virus. D’autres cherchent à confiner de manière plus efficace. D’autres comptent sur une meilleure hygiène de la population. D’autres encore, parient sur le développement plus rapide que jamais d’un vaccin. Chacun essaie un peu de tout, mais la concentration sur ce qu’on doit améliorer exprime la forme générale de la stratégie.

En réalité, nous apprenons en améliorant, pas en faisant. Les athlètes ne deviendront jamais de grands athlètes, ou les musiciens des virtuoses, si on leur demande de ne réaliser que des exercices abrutissants et répétitifs sans l’objectif clair de devenir meilleurs sur un point précis. L’amélioration est ce qui nous motive. Le progrès nous fait aller de l’avant. Les échecs requièrent de la résilience ou un changement de façon de faire. Nous voulons devenir meilleurs dans ce que nous faisons, pas simplement nous contenter de maintenir des habitudes.

Le lean en tant que stratégie

Le Lean est un échafaudage stratégique qui nous aide à découvrir ce sur quoi nous devons être meilleurs. Cela ne vous dit pas quelles techniques vous aurez à améliorer, mais comment les identifier. En faisant ainsi, vous disposez d’une base de départ solide :

  1. Commencez par améliorer la satisfaction client : allez au SAV et identifiez ce dont les clients se plaignent le plus. Ensuite, demandez-vous pourquoi votre organisation actuelle ne fournit pas ce dont les clients ont besoin – quelle est la lacune dans votre manière de faire qui crée ce problème. Si vous vous investissez suffisamment pour la combler, vous aurez un meilleur positionnement sur le marché et découvrirez comment les besoins et les goûts des clients changent. C’est comme cela que la valeur évolue.
  2. Ensuite, améliorez vos lead-times : allez au service des expéditions et regardez les stocks. Pourquoi sont-ils là ? Regardez vos inventaires de pièces. Pourquoi y en a-t-il autant ? Réduire les lead-times d’une opération quelle qu’elle soit révèlera automatiquement son manque de flexibilité, qui est intriquée dans le processus parce qu’il y a certains trucs qu’on ne sait simplement pas faire (comme gérer la logistique, avoir les bonnes personnes au bon endroit au bon moment, trouver les bons approvisionnements, et ainsi de suite). Construire la flexibilité est un élément critique de votre stratégie, car cela développe les compétences pour vous adapter lorsque la demande change.
  3. Améliorez votre aptitude à détecter les défauts et à réagir immédiatement : à chaque poste, demandez-vous: les défauts sont-ils détectés par le client? Sont-ils détectés à l’inspection finale? A la fin du processus? Au sein de la machine? Combien de temps cela prend-il de réagir et de les corriger? L’aptitude à repérer les écarts au fil de leur apparition est la clef pour voir les problèmes dans leur contexte et découvrir ce qui se passe réellement, et donc d’approfondir votre connaissance des processus techniques.
  4. Améliorez votre aptitude à engager chacun dans une démarche d’apprendre par l’amélioration : créer une culture d’apprentissage repose sur quatre compétences clés : 1) des charges de travail équilibrées pour que les gens aient un espace d’apprentissage tout en travaillant ; 2) une formation aux standards pour qu’ils aient confiance dans leurs compétences ; 3) une dynamique de résolution de problèmes pour développer l’autonomie dans la gestion des situations hors standards ; et 4) l’amélioration par petits pas de façon à apprendre à repousser les limites et penser de manière réflexive et créative.
  5. Améliorez vos systèmes sous-jacents : l’aptitude à constamment remettre en question, améliorer ou changer les systèmes qui facilitent le travail et qui permettent à chacun de faire ce qu’il doit faire.

Ces cinq objectifs d’améliorations génériques ne sont pas la stratégie en tant que telle, mais la méthode pour découvrir cette stratégie. Tandis que vous les mettrez patiemment et sans relâche en pratique, une nouvelle gamme de problèmes et d’opportunités apparaîtront, ce qui vous aidera à comprendre ce que vous devez améliorer en vue de relever le défi qui se présente à vous.

La pensée stratégique remonte à 2500 ans, avec les écrits de Sun Tzu. Au fil des millénaires, elle a tenté de répondre à la même question : comment les humains peuvent-ils atteindre ensemble un même but dans des conditions adverses? La pensée stratégique n’est pas d’une grande aide dans les situations connues, lorsque les problèmes sont bien compris et les solutions bien connues. Dans ces cas, appliquer les « meilleures pratiques » est une réponse tactique. La pensée stratégie s’applique à l’inconnu, la gestion de l’incertain, du changement, de l’adversité.

La valeur dépend du contexte. Nous donnons de la valeur à ce dont nous avons besoin à un moment donné. En effet, ce que les clients souhaitent change dès lors que leur contexte social et matériel change – nouveaux besoins, nouveaux goûts, nouvelles envies. Le changement externe est toujours plus rapide que notre propre aptitude à changer nos processus. Pour commencer, à chaque nouvelle saison, certains produits de notre gamme actuelle se vendront plus rapidement que d’autres, ce qui requiert un réalignement de la logistique. Mais les clients chercheront également de nouveaux produits ou services que nous ne savons même pas encore fournir. La flexibilité est une question de mix, de volume et de nouveauté. Être agile sur les marchés nécessite de la flexibilité, qui à son tour, repose sur le savoir-faire pour être flexible. C’est pourquoi l’orientation stratégique, c’est choisir ce que nous devons améliorer.

La stratégie Lean, c’est découvrir ce que nous devons faire mieux et apprendre à le faire en améliorant ce que nous faisons actuellement, en allant au-delà pour trouver de nouveaux débouchés. Elle repose sur la pratique constante de la compréhension réelle du problème, la création d’une culture de résolution de problèmes par la formation des personnes au Kaizen, et la volonté de réinvestir les gains dans de nouveaux développements.

Le succès d’une stratégie repose sur l’amélioration des bonnes choses. Le Lean est la méthode pour les identifier et amener tout le monde à les améliorer ensemble, développant ainsi au fur et à mesure les compétences qui nous permettront de progresser et de réussir.

Article de Michael Ballé & Eivind Reke

Publié sur Planet Lean et traduit en français par Nicolas Villemain, Marc-Antoine Guichard et François Lopez

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