La finance tue le Lean

Cher Gemba coach,
Mon PDG, qui soutenait le Lean, est parti et a été remplacé par un pur financier. Cela n’augure rien de bon pour l’effort Lean. Que faire ?

Hmm. Pas simple. Il y a des chances que ce soit la fin d’une belle histoire, et c’est une question de temps avant que vous ne l’admettiez. Je ne voudrais pas être négatif à propos de quelqu’un que je ne connais pas, mais mon expérience dans ce genre de situation ne plaide pas en sa faveur.
Mais le pire n’est jamais sûr : l’un de mes mentors est Orry Fiume, qui tout en étant directeur financier de Wiremold, était une preuve vivante qu’un financier pouvait « piger » le Lean et le promouvoir de manière efficace. Mais d’un autre côté, j’ai quand-même été le témoin direct de quatre cas dans lesquels la finance a coulé le Lean. Le premier, il y a longtemps, quand un financier a été placé à la tête d’une des divisions les plus Lean d’un équipementier automobile, qui a par la suite été vendue il y a quelques années à un fonds d’investissement. Juste après la débâcle Lehman Brothers, la finance semblait avoir perdu un peu de sa superbe, mais l’année passée, j’ai vu deux nouveaux cas où le PDG a été remplacé par son directeur financier ou par un financier représentant les actionnaires. Dans chacun de ces cas, le Lean a été abandonné et les entreprises sont retombées dans les pires pratiques du management financier.
Résultat : Finance : 4 – Lean : 1

Management Lean ou management financier ?

OK, cinq exemples ne font pas une statistique, et la loi des petits nombres s’applique. Je généralise peut-être à outrance sur la base de mon expérience personnelle, mais ce n’est pas sans raison. Comme l’explique John Shook, à la base du Modèle de transformation du LEI, il y a « de
la réflexion de base, un état d’esprit et des hypothèses ». Fondamentalement, c’est ce que vous découvrez sur le Gemba, quand vous arrivez au bout de le discussion dur les « 5 Pourquois ».
L’opinion immédiate de chacun sur un fait donné repose sur un calcul issu de trois croyances :
1. Comment les choses sont « vraiment » (quelle que soit la manière dont les faits apparaissent « en surface »)
2. Comment les choses devraient-elles être (quelle qu’en soit la perception des autres)
3. Quel est LE cheminement pour passer de 1 à 2 (quelle que soit l’expérience passée)
L’addition de ces trois croyances constitue notre idéologie personnelle. Tout l’objet de la réflexion scientifique est d’exprimer ces trois hypothèses et de les confronter à la réalité des faits, mais cela va souvent à l’encontre de notre nature instinctive, « intuitive ». La science est ce qui nous permet d’admettre que la terre tourne autour du soleil, alors que nous observons chaque jour l’inverse dans notre ciel.

En conséquence, l’idéologie Lean peut se résumer à :

  1. Les choses sont ce qu’elles sont sur le Gemba; il faut les prendre comme elles sont avec les personnes impliquées
  2. Les choses doivent être améliorées vers un but de zéro accident, zéro défaut, le pièce à pièce en séquence, plus de variété, 100 % valeur ajoutée, des suggestions par tout le monde
  3. La méthode pour y arriver est le kaizen pour tout le monde, partout, tout le temps

Par contraste, l’idéologie du management financier est:

  1. Les marges actuelles sont insuffisantes
  2. Le chiffre d’affaire doit augmenter et les coûts diminuer
  3. Trouvez des niches où vous pouvez faire grimper vos prix et réduire les coûts ligne à ligne dans le budget

Nous, les gars du Lean, nous savons que les raisonnements financiers apportent des gains court terme, au détriment du positionnement de l’entreprise sur son marché et du chiffre d’affaires futur – les exemples ne manquent pas, de la faillite de GM à tous les cas dont nous avons été personnellement témoins dans lesquels la pensée financière a fini par ruiner des entreprises parfaitement viables. Mais l’approche financière dispose de deux atouts maîtres :

  • Elle est simple – il est difficile de contester une stratégie qui consiste à acheter bon marché et à vendre cher
  • Les données sont pré-formatées en ce sens : la comptabilité traditionnelle met en lumière les ventes et les coûts, et véhicule des idées fausses, comme par exemple le fait que les stocks sont un investissement, ce qui sape n’importe quelle approche Lean.

Autant s’y habituer

La comptabilité Lean se préoccupe du coût global de l’activité, prend en compte les coûts exceptionnels qui ne sont pas si exceptionnels, et tente de montrer l’impact des stocks sur la trésorerie, et in fine sur la profitabilité – augmenter vos rotations de stocks améliorera vos marges. En vérité, Orry Fiume et d’autres ont démarré le mouvement « Lean Accounting » pour essayer de corriger les lacunes fondamentales de la comptabilité financière traditionnelle. Malheureusement, ces arguments ne trouvent écho que chez les adeptes du Lean, qui adhèrent déjà à l’idéologie Lean.
Mon professeur de sociologie, feu Raymond Boudon, nous expliquait que la plupart des idéologies étaient basées sur des pensées rationnelles, mais qu’elles étaient appliquées dans des circonstances inappropriées. Dans le cas présent, le paradigme « vendre cher/acheter bon marché » fonctionne bien dans un marché en croissance, mais absolument pas sur des marché matures. (Pourquoi les gens achèteraient-ils cher ce qu’ils peuvent trouver ailleurs meilleur marché, là où on trouve encore des bonnes affaires pas cher tant que les salaires sont bas ?).
C’est pourquoi le Lean est si puissant sur les marché matures – c’est une autre voie vers la profitabilité, qui s’appuie sur l’élimination des gaspillages inclus dans notre manière de fonctionner plutôt que de chercher à tirer avantage de nos clients, employés et fournisseurs.
Malheureusement, et précisément parce-qu’en général, la pensée idéologique est intellectuellement logique (même si parfois peu pragmatique), elle est parfois difficile à remettre en cause. Un pur financier, dont toute la carrière a été bâtie sur des idées de la finance traditionnelle, devra faire preuve d’une très grande ouverture d’esprit pour faire basculer son mode de pensée (c’est en fait ce qui s’est passé avec Orry Fiume). Par conséquent, je pense qu’il y a très peu de chances que le Lean survive dans votre entreprise.
Comme l’exprime crûment Dr. Steve Peters, la réalité de la vie est que (1) la vie est injuste, (2) les poteaux des buts bougent, et (3) on ne sait pas de quoi demain sera fait. Malheureusement, c’est ce qui vient juste de vous arriver, et il va falloir vous habituer à cette idée. La question, c’est : quand ?
Traduit de l’Américain par François Lopez

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