Être un bon manager aujourd’hui – travailler compétence et confiance

Être un bon manager aujourd’hui – travailler compétence et confiance

Pourquoi sommes-nous si moroses ? C’est la question que se pose le journal anglais The Economist en affirmant que la France se porte bien mais se sent mal. Après tout, les choses ne vont pas si mal : après les confinements, nous avons retrouvé une vie à peu près normale, la reprise économique est spectaculaire, le chômage au plus bas et on parle même de réindustrialisation. Et pourtant notre moral est au plus bas et le temps aux catastrophismes et à des discours politiques d’avant-guerre.

Un facteur, certes, peut être la psychologie du pays d’Astérix, le cliché des gaulois bagarreurs et râleurs. Un autre facteur, plus crédible, se trouve dans la théorie sociologique. Pour se sentir bien, les êtres humains ont besoin de participer à un programme collectif, comme on rejoint un club de sport : des buts communs clairs, des activités individuelles régulières, des moments de rassemblement conviviaux. Et de s’y retrouver dans l’équilibre entre l’engagement et ce qu’on en retire. L’attractivité du programme tient d’ailleurs beaucoup au charisme et à la personnalité de son leader – le mimétisme, conscient ou inconscient, est une des forces sociales les plus puissantes.

L’étude des leaders et des caractéristiques du leadership n’a jamais vraiment abouti, car ils sont tous uniques et très différents les uns des autres. En revanche, l’étude des suiveurs montre clairement que nous évaluons nos chefs sur deux dimensions : leur compétence et la confiance qu’on leur accorde :

  • Compétence : savent-ils ce qu’ils font ? Ont-ils la bonne vision ? Nous emmènent-ils dans la bonne direction ? Le font-ils bien ?
  • Confiance : se soucient-ils de nous ? Trouvons-nous notre place dans leurs solutions où ne sommes-nous que des pions, de la chair à canon, des moutons à tondre ? Peut-on les croire où ont-ils un plan secret pour se servir de nous ?

Ces deux dimensions expliquent des rapports très différents à nos leaders. Nous sommes fiers de connaître des chefs compétents à qui on peut faire confiance. Nous haïssons les compétents à qui on ne peut pas faire confiance (nous les trouvons, à raison, fort dangereux). Nous méprisons ceux que nous considérons ni compétents ni dignes de confiance. Nous avons pitié des sympas dignes de confiance que nous trouvons incompétents.

Notre culture managériale a bien une particularité nationale : la croyance exagérée en les liens de subordination : le devoir d’exécuter les ordres de son hiérarchique sous peine de sanctions. Les chefs pensent « ils feront bien ce qu’on leur dit », les cheffés pensent « il faut un chef fort qui prend les décisions nécessaires. »  Cette croyance bizarre et irrationnelle dédouane les chefs d’avoir à se soucier d’embarquer leurs troupes dans leur projet, de rémunérer les équipes quand on leur demande des changements ou même, tout simplement, d’apprécier le travail fait et dire merci. Ne voyant même pas le problème de la confiance, ils se placent tout naturellement dans les cases haï ou méprisé – sans en avoir aucune conscience.

Je suis persuadé qu’une grande partie de notre malaise provient d’une culture de la défiance entretenue par des leaders autoritaires et arbitraires qui ne voient ni la nécessité de se justifier, de convaincre et de faire adhérer et, encore moins, en cas d’arbitrage difficile, de consoler les perdants pour les garder dans le programme.

Pourtant, la subordination n’est qu’une partie de la théorie managériale. Les réflexions managériales d’avant-guerre qui, dans la nécessité, ont abouti à des programmes collaboratifs spectaculaires tels que le commandement allié, le plan Marshall ou l’Europe, portaient essentiellement sur une théorie de la coopération et de la coordination.

D’une part, chaque instruction devait s’accompagner d’une raison pour que la personne s’y plie – les ordres ne tombaient pas sous le sens, il fallait convaincre chaque personne pour qu’elle trouve son intérêt dans ce qu’on lui demandait de faire. De l’autre, chaque changement devait être discuté avec les autres parties prenantes de manière à en comprendre les conséquences globales et se coordonner pour faire aboutir les projets du mieux possible.

À partir des années soixante et avec la domination totale des entreprises américaines sur le monde des affaires, la subordination s’affirme avec le management par objectifs et la coopération s’estompe. Puis la financiarisation conduit à augmenter les incentives pour les chefs haut placés de manière à ce qu’ils imposent des politiques financières à court terme à des employés qui n’ont plus leur mot à dire et ne gardent que leurs yeux pour pleurer. Les notions de loyauté à une entreprise s’effacent, la confiance dans les sociétés également et nous en arrivons progressivement à ce que note The Economist, la suspicion générale que toutes les actions, même les plus utiles telles que le financement à tout va ou la transformation digitale, n’ont pour but final que nous exploiter et nous aliéner un peu plus.

Chaque personne est une fleur qui peut s’ouvrir. Chaque collectif est un jardin qu’on se doit d’entretenir. En retrouvant un idéal de projet collectif qui prend en compte les points de vue de chacun, les affects et les identités, il est possible de voir l’immense valeur ajoutée que peut avoir un management dont le but premier est la coopération et la coordination plus que la subordination. Pour renverser la vapeur, le management, qu’il soit privé ou public, doit trouver son rôle positif de réussir ensemble.

Dans les vieux manuels de lean, le Toyota d’alors définissait son approche explicitement comme l’alignement de la réalisation individuelle et de la destinée de l’entreprise. Le lean management n’est en réalité qu’une suite de principes et de techniques pour une collaboration plus intense et une coordination plus précise, dont sont issus plus d’engagement de chacun et plus de performance globale. Si le Toyota d’aujourd’hui souffre moins que ses concurrents de la crise des semi-conducteurs, c’est bien qu’ils ont mené un effort sans pareil pour s’occuper des fournisseurs loin dans la chaîne de valeur et pour s’assurer de leur succès. 

Vous, grands ou petits chefs qui imposez vos solutions ! Vous rendez-vous compte des dégâts que vous faites ? Avec vos décisions arbitraires et absurdes, votre froideur et indifférence bureaucratique, votre mépris technocratique et votre obsession pour votre bonus au détriment de tous et de tout. Vous rendez-vous compte qu’à chaque fois que vous réorganisez l’entreprise les résultats sont pires ? Qu’à chaque fois que vous déléguez à un grand cabinet de conseil la « transformation » la performance se dégrade ? Comprenez-vous ce qu’être aveugle à la nécessité humaine de créer et maintenir de la confiance commune nous coûte à tous ?

Alors que nous rentrons dans une période de turbulence sans précédents et que les enjeux sont désormais planétaires, qu’il s’agisse du court terme des disruptions de supply chain ou du moyen terme du changement climatique, nous devons changer notre approche du management et redécouvrir une véritable théorie du commandement, de la chefferie à valeur ajoutée pour tous. Ouvrez un livre de lean management !

Michael Ballé

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