Le paradoxe de l’apprentissage

Le paradoxe de l’apprentissage

Dans cet appel aux armes, Michael Ballé nous encourage à nous battre pour prouver la pertinence de la pensée Lean en ces temps difficiles et explique pourquoi seule sa maîtrise peut véritablement résoudre nos problèmes.

La maîtrise – dans n’importe quel domaine – est une question de pratique délibérée tout au long de la vie. Il n’y a pas à tergiverser, que ce soit en cuisine, en ski ou même dans l’art de mener des hommes ou bien la pensée Lean. La pratique délibérée consiste à prendre en main son esprit (et dans les sports, son corps) et à s’exercer délibérément à quelque chose de difficile, encore et encore.

Tout domaine d’étude est composé de problèmes qui donnent du fil à retordre, des problèmes que chaque néophyte doit affronter et en quelque sorte maîtriser, dans des contextes variés. A chaque fois que le problème se pose spécifiquement, que ce soit naturellement ou par le biais d’un exercice, c’est l’occasion de pratiquer l’apprentissage : activer ce que l’on sait déjà, puis s’appuyer dessus pour approfondir cette connaissance. Si vous faites de la musique dans un groupe, il sera toujours difficile de maintenir votre niveau. Il retombe dès que vous arrêtez de pratiquer. Ou bien écouter les autres musiciens et trouver ensemble le caractère de la chanson. Peu importe le niveau que vous atteignez, ces problèmes demeurent : ils donnent du fil à retordre. Vous pouvez progresser dessus, mais jamais les résoudre entièrement.

L’environnement d’apprentissage peut favoriser ce processus en apportant un certain intérêt situationnel (comme par exemple la motivation d’apprendre dans le cadre d’un groupe) ou un cadre grâce à des méthodes et un tutorat avec des mentors à mesure que l’on progresse sur la courbe d’apprentissage. Mais en fin de compte, l’apprentissage se fait par soi-même – en dehors du contexte, de manière autonome. L’apprentissage se produit lorsque l’on prend la décision personnelle de s’attaquer au problème et qu’on essaie une nouvelle idée ou une nouvelle action. C’est en essayant de manière répétée de nouvelles manières et en pratiquant les anciennes que l’on crée les courbes d’apprentissages qu’on peut observer de l’extérieur.

Toutes les heures passées dans une vie à pratiquer délibérément une compétence – par exemple, le jonglage – font de vous un maître dans ce domaine. Peu deviennent des maîtres, car peu ont la patience et la persévérance nécessaire pour continuer à s’exercer. Beaucoup ont le sentiment que dès qu’ils ont appris quelque chose, c’est suffisant, ils peuvent passer à autre chose. Selon les termes de Herbert Simon, la plupart d’entre nous cherchent la satisfaction plutôt que le maximum dès lors qu’il s’agit de compétences.

Le paradoxe, cependant, c’est que lorsqu’on se consacre à une compétence suffisamment longtemps pour en devenir un maître, la société passe souvent à autre chose. Les artisans sont remplacés par des robots, les analystes par l’IA, et ainsi de suite. Certaines compétences semblent simplement ne plus être socialement pertinentes, quelle que soit leur valeur. Pensez à la vente : l’asymétrie de l’information qui faisait de la vente un sport et une joie à la fois pour le vendeur et le client s’est inversée, et vendre est maintenant essentiellement une corvée entre vous et ce que vous voulez. Est-ce bien le cas ? Il y a encore beaucoup, beaucoup de produits complexes pour lesquels la vente est toujours nécessaire et serait amusante pour les deux parties si quelqu’un savait encore comment le faire correctement. Ou bien, à ce propos, l’enseigner.

Alors que la crise environnementale s’aggrave avec le temps, le Lean est de plus en plus pertinent. Le Lean est un système de problèmes qui donnent du fil à retordre :

  • Comment pouvons-nous mieux satisfaire les clients en gaspillant moins de ressources ?
  • Comment pouvons-nous réagir plus rapidement aux problèmes techniques ?
  • Comment pouvons-nous réduire les lead times ?
  • Comment pouvons-nous tous mieux maîtriser nos savoir-faire ?
  • Comment pouvons-nous impliquer tout le monde dans l’amélioration progressive de nos méthodes de travail ?
  • Comment pouvons-nous instaurer une plus grande confiance entre les employés et le management ?

Nous savons que cela mène à des solutions plus écologiques car l’essence du Lean est de faire la même chose avec une meilleure qualité et moins de ressources, en utilisant la matière grise et la collaboration pour améliorer les systèmes de livraison. Ce qu’il faut bien comprendre, cependant, c’est que l’adoption de la pensée Lean implique de pratiquer le système Lean tout au long de la vie, tout le temps, partout, et d’inciter les autres à l’adopter également.

Pour continuer à convaincre les gens de s’engager dans des heures et des heures de pratique délibérée du système de pensée Lean, nous devons convaincre la société que ce système est pertinent, et pertinent en tant qu’alternative à la manière habituelle de mener notre activité. Nous devons démontrer par l’exemple les succès du Lean. Nous devons nous présenter aux conférences et expliquer la logique Lean. Nous devons continuer à faire valoir que c’est la qualité qui fait vendre, que la réduction des lead times apporte la trésorerie et que le savoir-faire technique apporte la rentabilité. Nous devons créer un contexte social qui valide l’effort des heures d’apprentissage tout au long de la vie.

Nous avons tous besoin de succès autant que de respirer, manger et boire. Qu’il s’agisse de petites victoires du quotidien, ou de victoires plus larges à plus long-terme. Le succès nous fait prospérer, l’échec nous fait régresser, et la fibre morale prend sa source dans l’adversité lorsque nous trouvons l’énergie de chercher le succès par-delà les obstacles. S’entraîner peut être satisfaisant, mais c’est souvent dur – et peu d’entraînements nous font sentir la vraie réussite. C’est pourquoi il est important de créer un contexte positif pour l’apprentissage, que ce soit pour nos enfants ou les personnes avec qui nous pratiquons le Lean. Si la société ne reconnaît pas son éventuel succès, la pratique est d’autant plus difficile.

Pour conclure, le Lean est actuellement notre meilleur atout pour réduire la pression qu’exerce l’industrie sur l’environnement. Pour réussir dans le Lean, nous avons besoin de maîtres Lean – des personnes qui ont consacré suffisamment d’heures tout au long de leur vie à dénouer les problèmes épineux du système Lean. Pour ce faire, nous devons convaincre la société que le Lean est un effort mondial – pas les bricolages que les consultants aiment vendre ici ou là, pas dans le sens « l’agile, c’est globalement du Lean », mais dans une reconnaissance totale du système Lean comme un système d’entreprise complet. Nous devons nous lever et être pris en compte.

Article original paru dans Planet-Lean.com

Téléchargez le texte en PDF. Traduction par Marc-Antoine Guichard, Nicolas Villemain et François Lopez

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