De l’intelligence individuelle à l’intelligence collective

De l’intelligence individuelle à l’intelligence collective

Découvrez comment la pensée Lean et la mise en place de communautés de pratique transforment le reconditionnement des véhicules au sein du Groupe Aramis par Rémi Pigeol, directeur industriel groupe chez Aramis Group

Dans un environnement industriel en constante évolution, la performance ne se limite plus seulement à des sujets d’optimisations techniques. Pour rester compétitif, nous devons développer, partager et capitaliser notre savoir. Plus qu’un ensemble d’outils, le Lean est une approche stratégique construite sur l’apprentissage continu, l’expérimentation et l’engagement des équipes au service de la création de valeur.

Les communautés de pratiques jouent un rôle essentiel dans cette transformation en facilitant l’échange et le partage de l’apprentissage à l’échelle collective. Au sein du Groupe Aramis, nous avons formulé les défis opérationnels comme des occasions d’innover en brisant les silos de savoir et favorisant des interactions rapprochées entre les équipes de différents pays.

Ce changement ne s’est pas fait en un claquement de doigt. Changer notre façon de collaborer et d’apprendre a nécessité un engagement collectif de notre part – en commençant par un constat simple et puissant : nous rencontrions tous le même problème, séparément.

L’ISOLEMENT DU SAVOIR : UN FREIN À L’INNOVATION

Au fur et à mesure que nous développions notre réseau d’usines de reconditionnement de véhicules en Europe, une tendance s’est dessinée. Bien que confrontés à des défis similaires – pénurie de pièces, longs délais d’intervention, qualité variable – chaque équipe tentait de résoudre ces problématiques dans son coin. Une usine au Royaume-Uni pouvait revoir son processus de réparation, tandis qu’une autre en Espagne s’attaquait à la même problématique en repartant de zéro, sans savoir qu’une meilleure solution existait déjà chez le voisin. Des connaissances précieuses étaient bloquées dans des silos, ce qui nous rendait plus lents, moins efficaces et plus vulnérables aux erreurs déjà résolues ailleurs.
Nous savions que nous devions créer ces liens.
Avec cet objectif en tête, nous avons pris la décision de structurer une communauté autour de trois éléments fondamentaux définis par Wenger, McDermott et Snyder dans Cultivating Communities of Practice :

  • Un domaine partagé : le reconditionnement de véhicules, avec un focus sur les fondamentaux du Lean – création de valeur, résolution de problèmes, réduction des gaspillages.
  • Une vraie communauté : des directeurs d’usines et des responsables opérationnels rencontrant des défis similaires, soutenus par une culture qui encourage la confiance et l’initiative.
  • Une pratique commune : des méthodes et des solutions développées, testées et affinées dans chaque pays, puis partagées de manière transparente.

Il ne s’agissait pas d’imposer des standards. Il était question de permettre à chaque équipe de bénéficier de l’apprentissage des autres. Une solution lean en Belgique pourrait inspirer une avancée en Autriche. Une simple réussite pourrait se répercuter à travers toute l’organisation. Et c’est exactement ce qui a commencé à se passer une fois que nous avions créé l’espace pour ce faire.

LA PUISSANCE DES COMMUNAUTÉS DE PRATIQUES

Pour que cet apprentissage collectif fonctionne, nous avons établi un rythme. Tous les quinze jours, nous nous réunissons en ligne pour échanger sur les défis, les améliorations, les erreurs et les apprentissages. Chaque trimestre, nous nous retrouvons sur l’un de nos sites de production. Ces rencontres sont bien plus que des points de contrôle – ce sont des moments d’alignement, où les idées deviennent des ressources partagées.

Un exemple concret : dans l’une de nos usines pionnières, une nouvelle procédure de remplacement des courroies de distribution a été mise au point grâce à une approche Kaizen rigoureuse. Le résultat ? Le temps nécessaire à cette tâche récurrente a été réduit de plus de 80 %. En quelques semaines seulement, cette amélioration a pu être étendue à six autres pays grâce à la communauté. Une initiative locale est ainsi devenue une avancée notable à l’échelle du groupe.

Ce rythme d’échange a également apporté des avantages inattendus : une confiance renforcée, des boucles de rétroaction plus rapides et un sentiment croissant que « nous sommes dans le même bateau ». L’impact était réel, et s’amplifiait.
Lors de chaque réunion, nous allons au-delà de la simple présentation de métriques. Nous soulevons des problèmes, testons des idées et demandons de l’aide si nécessaire. Il ne s’agit pas de mises à jour formelles. Ce sont des conversations ouvertes. Elles permettent à l’expertise de circuler librement.

C’est ainsi, par exemple, que la solution d’une équipe à une pénurie de pièces – en utilisant l’impression 3D pour des composants non critiques pour la sécurité – a rapidement inspiré des essais similaires dans d’autres pays. Ou comment une expérience ratée en France a permis d’économiser du temps et des efforts en Italie, simplement parce que l’information a été diffusée rapidement.

Au lieu de travailler en parallèle, nous avons commencé à apprendre de manière simultanée. Une fois la dynamique en place, nous avons jugé nécessaire de l’étendre à quelque chose d’encore plus grand.

LE MOTEUR DE LA PERFORMANCE ARAMIS : UN MODÈLE DE GOUVERNANCE COLLABORATIVE

Cette évolution a contribué à faire émerger ce que nous appelons aujourd’hui le « moteur de la performance Aramis » : un système de management fondé sur l’apprentissage collectif, le partage des responsabilités et la création de valeur pour le client.

Nous fonctionnons comme une « équipe d’équipes », reliées par un ensemble partagé de principes et de méthodes. Chaque équipe conserve son autonomie, mais travaille au sein d’un système qui amplifie les bonnes idées et nous aide à éviter de reproduire les mêmes erreurs.
Le moteur de performance n’est pas seulement un outil, c’est un état d’esprit. Une fois adopté, il redéfinit le rôle du management.

Dans ce modèle, les dirigeants ne sont pas des experts directifs. Ils sont des facilitateurs qui créent les conditions favorables à la réussite des autres. Ils aident les équipes à identifier les problèmes, à explorer les différentes options et à tirer des enseignements des résultats, même en cas d’échec.
Le leadership partagé nous permet également d’expérimenter avec audace, car nous savons que nous pouvons compter les uns sur les autres pour nous adapter et apprendre rapidement. Cela se traduit par davantage d’innovation, moins de peur de l’échec et une plus grande résilience lorsque les plans ne se déroulent pas comme prévu.

Ce changement a modifié notre façon de prendre des décisions, d’organiser le travail et surtout de déployer ce qui fonctionne. Notre défi était désormais clair : comment maintenir ce moteur de performance dans un contexte de croissance ?

VERS UNE TRANSFORMATION CULTURELLE ET OPÉRATIONNELLE DURABLE

Depuis la mise en place de la communauté et des efforts de transformation plus généraux, nous avons pu constater des progrès constants et notables.

  • Les équipes témoignent d’une intégration plus rapide, d’une meilleure qualité du travail et d’une plus grande autonomie dans la résolution des problèmes.
  • Les meilleures pratiques se répandent plus naturellement, favorisant des économies de temps et d’argent dans de nombreux domaines, y compris lors d’opérations techniques complexes, comme le remplacement des courroies de distribution.
  • La collaboration entre sites n’est désormais plus une exception. Elle devient de plus en plus naturelle et courante au sein du réseau.

Ces améliorations ne sont pas qu’une question de chiffres. Elles reflètent un changement plus profond dans notre manière de penser et de collaborer. Mais ce qui compte vraiment, c’est notre capacité à maintenir cet élan.

Pour y parvenir, nous maintenons le rythme : des échanges réguliers, des outils simples pour capitaliser sur les apprentissages et une structure légère mais efficace qui offre aux équipes à la fois soutien et autonomie.

Le pouvoir de la communauté ne réside pas dans une base de données centrale. Il réside dans les conversations permanentes, les relations de confiance et la volonté de s’entraider pour réussir.
Il ne s’agit pas seulement de ce que nous avons construit, mais de ce que nous sommes désormais capables de construire ensemble.

Au-delà des gains opérationnels, c’est l’impact culturel qui s’avère le plus important. Nous sommes passés d’une logique d’optimisation locale à une approche d’apprentissage global, d’une approche réactive à une démarche d’amélioration proactive, et d’équipes isolées à une ambition partagée.
Les gens ont désormais le sentiment de faire partie de quelque chose de plus grand. Ils savent que leurs idées comptent – pas seulement pour leur usine, mais pour l’ensemble du groupe. Ce sentiment d’utilité est en train de devenir l’un de nos plus puissants moteurs de performance. Et peut-être le plus enthousiasmant ? Nous n’en sommes qu’au tout début.

CONCLUSION

Le parcours lean d’Aramis Group illustre la manière dont la mise en place d’institutions structurées, notamment les communautés de pratiques, permet de transformer des problèmes partagés en succès partagés. En supprimant les barrières entre les équipes, en encourageant un dialogue ouvert et en structurant le flux de connaissances, nous avons créé un système dans lequel l’apprentissage alimente la performance au quotidien.

Des réalisations concrètes, comme la refonte de la procédure de remplacement de la courroie de distribution ou l’innovation dans le domaine de l’impression 3D, sont la preuve que cette approche porte ses fruits. Mais au-delà des chiffres, nous avons instauré une culture de confiance, d’expérimentation et d’amélioration continue.

Voilà à quoi ressemble le Lean lorsqu’il est vivant : pas seulement une méthode à appliquer, mais un mouvement collectif qui met à profit le pouvoir de la connaissance partagée. Chaque conversation, chaque expérience et chaque avancée viennent enrichir notre intelligence collective et constituent un levier puissant pour construire l’entreprise de demain dans un paysage industriel en constante évolution.

Rémi Pigeol

Article paru sur Planet-Lean.com traduit par Marc-Antoine Guichard, Nicolas Villemain et François Lopez.

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