Promettre, agir, soutenir

Promettre, agir, soutenir

Pourquoi ne se tient-on pas à nos objectifs ? Par exemple, après un sursaut post-COVID et malgré une volonté affichée de la part de l’État, la réindustrialisation de la France a reculé en 2024, les perspectives 2025 sont pires et… nous trouvons tous cela normal et peu surprenant. Conjoncture adverse, difficultés imprévues, confusion des actions menées, gaspillage de l’argent mal investi – comme d’habitude, en somme ? Je reviens d’un voyage d’études de Toyota et de ses fournisseurs au Japon, et un des aspects qui m’a le plus frappé, au-delà de l’incroyable frugalité et productivité de leurs usines, est la capacité des cadres du groupe Toyota à se tenir à leurs objectifs malgré l’adversité et les catastrophes imprévues.

Toutes les histoires racontées tournent autour de projets ambitieux (le challenge), de difficultés imprévues et de réussite au bout du compte. D’ailleurs, les top managers japonais trouvent difficile de travailler avec des Occidentaux car ils sont déroutés par la banalité avec laquelle nous ne nous tenons pas à nos engagements. A la question « comment avez-vous surmonté tel ou tel obstacle apparemment impassable (catastrophes naturelles, conditions de marché, etc.) ? » ils répondent d’une manière ou d’une autre « on s’en occupe davantage jusqu’à ce qu’on y arrive. » Difficile de savoir concrètement ce qu’ils veulent dire par là, mais on sent bien qu’il y a un sens de l’intensité managériale pour atteindre des objectifs dans l’adversité.

Très surprenant, car s’il y a bien un pays où management s’apparente trop facilement à pression, c’est le nôtre. De fait nos propres analyses sur notre mode de management ne font que critiquer notre verticalité, notre autoritarisme, notre technocratisme – souvent pour conclure qu’il faut clarifier les lignes hiérarchiques et donner plus de pouvoir aux leaders afin de mieux appliquer de nouvelles réglementations qui ne font que s’empiler les unes sur les autres. Mais vu du Japon, chez un fournisseur de Toyota, j’ai été frappé par le fait que nous voyons notre chaîne hiérarchique comme une chaîne de transmission d’instructions, les rouages d’une machine à pression – et eux non.

Les différents niveaux de la hiérarchie ont des missions bien distinctes :

  • Les team members sont là pour créer de la valeur (faire les pièces ou rendre les services) et ajouter de la valeur par des suggestions ou par la participation à des efforts de kaizen.
  • Les team leaders (coordonnateurs d’équipes de 5 à 7 personnes) sont là pour aider les team members à tenir les objectifs de l’équipe en mettant la main à la pâte quand l’un d’entre eux rencontre une difficulté en enseignant le standard, alerter le group leader quand cette difficulté ne se résout pas immédiatement, maintenir une bonne ambiance dans l’équipe et soutenir les team members dans leurs initiatives de kaizen.
  • Les group leaders (responsables de 5 teams) sont là pour animer des activités de maintenance de l’équipe. Dans la zone sont affichés des objectifs de sécurité, qualité, délais, productivités, motivation, et les activités programmées pour les atteindre, comme par exemple, les activités 5S pour résoudre les problèmes de sécurité et maintenir les équipes éveillées sur le sujet. Les group leaders assurent également les activités de gestion du changement, comme un changement de takt time (tout le standardized work est à revoir) ou le démarrage d’un nouveau produit. Le group leader gère également une partie de la programmation des ressources et des problèmes RH.
  • Les superviseurs sont là pour traduire les « hoshins » (les grandes directions données par le management) en thèmes concrets pour les équipes et formuler des plans avec les group leaders pour assurer le développement des personnes et la maintenance des conditions de travail et de production. Leur rôle principal est de faire de la prévention pour éviter les incidents et leur récurrence tout en formulant des plans de 3 à 5 ans pour garantir la stabilité dans le futur. Lors d’évènements imprévus, c’est également à eux de revoir les plans et faire de nouvelles priorités – avec le soutien de leur management.
  • Le management est là pour donner les grandes orientations et formuler les challenges qu’il faut embrasser pour pouvoir répondre intelligemment à des conditions de marché changeantes, par un équilibre entre des initiatives nouvelles et des investissements sur la sécurisation des processus en cours, ce qui est exprimé sous la forme de « hoshin » (boussole) clairs, des plans qui définissent ligne par ligne le sujet à réussir, la cible à atteindre, la situation actuelle, le problème tel qu’on le comprend et la contremesure à mettre en œuvre.

Ne voyant cela que de l’extérieur, je ne saurais vous assurer que c’est bien ainsi que fonctionne la hiérarchie Toyota (qui est d’ailleurs variable d’un site à l’autre et d’une culture à l’autre), mais je suis presque sûr que chaque strate managériale à un rôle et des responsabilités distinctes et très clairement définies. Contrairement à ce que nous cherchons souvent à mettre en place, les strates managériales ne fonctionnent pas selon les mêmes ressorts de leadership et de management, et une carrière se fait de multiples points de passage où il faut apprendre tout à fait autre chose pour performer au niveau supérieur.

Inversement, quand on y pense, notre vision d’une ligne hiérarchique de transmission crée par nature une inflation des rôles de reporting et de contrôle (oui, oui, tous ces gens en face de leur écran dans les bureaux) qui ne nous rendent pas plus efficaces, mais moins, pas plus flexibles, mais moins, et qui ne font qu’alourdir la bureaucratie intermédiaire sans réellement ajouter de valeur.

Je pense que vous serez tous d’accord avec l’idée commune que nos entreprises sont trop verticales, autoritaires et bureaucratiques. L’idée plus surprenante est que c’est pour cela que les objectifs sont immédiatement renégociés à la baisse et au final jamais atteints. Et c’est également pour cela que malgré toute la pression exercée par les chefs, petits et grands, la bureaucratie finit toujours par l’emporter. C’est notre compréhension même du fonctionnement de la chaîne hiérarchique qu’il faut mettre en question. Prenez 5 minutes et imaginez une hiérarchie faite pour soutenir le travail des équipes au quotidien en animant des activités d’implication et en détaillant des plans concrets de changement sur des sujets précis. Un manager dans cette chaîne ne se contente pas de « serrer » son collaborateur en lui donnant une instruction puis en venant l’inspecter. Il prend le temps de discuter des objectifs, de leur raison d’être, des plans pour les obtenir (le possible, l’impossible et le pas impossible) et des revues régulières pour aider à surmonter les obstacles qui se présentent.

S’en tenir à ses engagements, c’est une pratique. C’est apprendre à aller au-delà des effets d’annonce et rester quand les problèmes surviennent.  C’est passer de la transmission d’instructions au soutien des équipes, sur le terrain.

Nous avons le droit de réussir. Nous avons le droit de rêver à une chaîne hiérarchique qui serait une chaîne d’aide, pas une chaîne de commandement !

Michael Ballé

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