Vous avez dit « efficience » ?

Vous avez dit « efficience » ?

Tous les clients s’efforcent d’arbitrer leurs achats en fonctions de la valeur qu’ils sont sensés y trouver. Toyota et les pratiquants du TPS s’efforcent donc de développer la part de la valeur dans leurs produits, ce qui les rend bien plus efficients que les praticiens du système de production de masse issu de Taylor. Le livre d’Olivier Larue[1] en donne une vision très inspirante. Je le lis et le relis en boucle…

Lors de mes gemba-walks dans différentes entreprises, je m’attache à observer la construction de la valeur sur les postes de travail.

Récemment, les managers annoncent, en salle, une efficience de 88 %.

Baigné dans le livre d’Olivier Larue, je restais toujours en admiration devant les 98 % qu’il annonçait sur les lignes de montage américaines du constructeur, c’est à dire 98 % de valeur ajoutée individuelle dans une équipe de 4 opérateurs et un team-leader, ce qui faisait une efficience réelle de l’équipe de 78 % (98 x 80 %[2]). J’étais donc très impatient d’en voir un autre exemple !

La réalité fut toute autre ! Installé devant un poste de travail où un opérateur était chargé d’assembler des composants sur un produit en cours de montage, je constatais en réalité… 4,5 % de valeur ajoutée créée, très loin des 88 % d’efficience annoncés.

Ce qui m’amène ici à réfléchir sur l’efficience et sur cet extraordinaire écart que cet exemple montre.

Selon Olivier Larue, le terme comprend deux volets : 1 efficience locale versus efficience globale, et 2 efficience apparente versus efficience réelle.

Le premier cas est assez simple à comprendre : il est résumé par la formule ROI à ROA[3]. C’est l’illustration du fameux précepte « une optimisation locale n’entraîne que très rarement l’optimisation globale ». Le TPS repose sur l’hypothèse que privilégier le retour sur investissement de chaque actif génère avant tout de nombreux gaspillages, et pour ainsi dire la majeure partie des fameux 7 gaspillages de Ohno[4]. Toyota n’a eu de cesse de prouver que considérer l’efficacité globale est de loin plus judicieux sur le plan économique et financier, pour réduire le lead-time et réduire les besoins en capital.

Le second cas est à la fois évident, et en même temps le moins mis en œuvre dans les entreprises. Il repose sur la compréhension de la création de valeur, et en particulier des trois formes que celle-ci peut prendre et que l’on peut observer :

  • La véritable valeur, qui se traduit par les multiples fonctions du produit que le client achète (son utilité). C’est le fameux « value, value » que prononçait lors d’une réunion au Japon le sensei de Toyota Amezawa en regardant sur une vidéo, des opérateurs splitter des boulons sous le châssis d’un véhicule en cours de montage.
  • La valeur accessoire, que le client « n’achète pas », mais qui est indispensable pour créer la première, mais que l’on cherchera sans cesse à réduire.
  • Enfin la non-valeur ajoutée, c’est-à-dire tout le reste de l’activité de production.

L’efficience apparente peut donc être de 88 %, mais l’efficience réelle est donc bien inférieure. C’est peut-être une des causes du manque d’intérêt des dirigeants pour aller chercher un sensei pour l’aider à s’améliorer en adoptant le TPS !

Comment sont construits ces 88 % ?

Dans ce cas d’espèce, on a un produit, et une estimation des ventes annuelles : 1 000 pièces. Puis un système de production par lots (9 pièces/jour), alors que le takt-time (calculé pendant la réunion) est de 1,6 heure. Ce qui correspond à environ 4 ou 5 produits par jour. La gamme de travail indique que le temps de cycle total est de 3,75 heures, non compris le contrôle final. Avec trois opérateurs (ce qui est supérieur au chiffre calculé en partant du takt-time soit 3,75/1,6= 2,3), même si la troisième personne, abusivement qualifiée de « team-leader » est chargée, pour une partie de son temps des travaux administratifs de production.

L’objectif est sans doute de 35h x 3p. /3,75 h = 28 produits/ semaine soit, sur 47 semaines 1 316 produits environ. 88 % d’efficience signifie que l’on a produit 1 150 pièces. Ce qui permet de livrer le client avec un reliquat en stock.

Mais avec une efficience réelle de 5 % ! Si celle-ci était, par exemple de 15 %, ce que l’on voit plus souvent en France, il n’aurait fallu que 1,25 h pour faire le produit avec moins d’une personne ! Et l’entreprise pourrait se développer avec les personnes travaillant sur ce poste amélioré.

Bien sûr les charges sociales sur le travail sont très élevées en France, mais cela n’empêche pas Toyota d’être rentable en fabriquant des petites voitures que les constructeurs français ont délocalisées.

Le principal facteur d’amélioration de la compétitivité, pourrait bien être de redresser ce taux d’efficience très bas. Et cette entreprise n’aurait sans doute pas besoin de construire un nouvel atelier – ce qu’elle prévoit de faire, car elle souhaite livrer deux fois plus de produits en 2026 – du capital économisé qui pourrait être utilisé pour développer de nouveaux produits.

Bien entendu, cet exemple, extrême, ne représente pas toute l’industrie française. Mais, on est quand même très loin des taux d’efficience des équipiers Toyota (avec un vrai team leader chargé d’animer et de former son équipe à la réduction des gaspillages).

On comprend mieux la formule de Toyota : Mon job = mon travail + le kaizen

Si chacun « fait son boulot », ou « fait ce qu’on lui demande », cela ne suffit pas pour que l’entreprise soit plus compétitive. Améliorer son boulot en augmentant la valeur créée pour les clients fait partie du job. Ce qui, en plus d’améliorer l’efficience de l’entreprise, donne aussi à chaque collaborateur le sentiment d’être réellement utile, et lui permet de retrouver de la dignité en étant acteur de l’amélioration quotidienne de son job !

Richard Kaminski

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[1] Le système économique de Toyota, en trois tomes, par Olivier Larue. Éditions L’Harmattan.

[2] Le team leader passe une partie de son temps à aider et former son équipe, et donc ne produit pas tout le temps.

[3] ROI : retour sur investissement de chaque actif pris isolément, ROA : retour sur l’ensemble des actifs.

[4] Taïchi Ohno, le fondateur du TPS (Toyota production System) dans les années 70.

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