Il y a bientôt 10 ans, je me retrouvais sur le chemin du Lean dans un cas de figure similaire à Pierre Leblond : peut-être pas au bout du rouleau mais au moins avec une boîte qui ronronne (sans cartonner pour autant) et peu de certitudes sur comment la faire avancer (au-delà du cravacher plus).
Quand je regarde derrière moi, deux révélations me sautent aux yeux. Parmi ma communauté d’entrepreneurs de la tech lilloise, il y a eu pas mal de dégâts. Plusieurs d’entre eux ont mis la clé sous la porte, d’autres ont opportunément vendu leur entreprise en voyant des murs arriver (parfois sous couvert d’un article élogieux dans la presse économique locale). Seule une poignée a réussi à bien vendre (le fameux graal de leurs investisseurs initiaux).
Dans la communauté Lean – que je côtoie plus assidûment depuis la crise du Covid – les temps sont tout aussi difficiles mais force est de constater que le taux de survie semble meilleur. Des intervenants en plénière du « Lean Summit 2016 » (le premier évènement auquel j’ai participé), toutes les PME sont encore sur pied : Theodo, Proditec et AIO (je ne compte pas les grands groupes comme la SNCF ou Constellium). Pour la génération 2018, rebelotte : AramisAuto, BAM (devenu Theodo Apps depuis), JVWEB, Alliance MIM et Aloïs continuent à tracer leurs routes respectives. C’est presque le même résultat pour les 2020 (Cadiou, Acta Mobilier), même si Apricity a été liquidé depuis. Et pour les 2022 et 2024, on aura l’occasion d’en reparler à l’occasion…
Si j’en crois ma propre expérience (20 années à la tête de No Parking), ce n’est pas tout à fait un hasard : au delà de la performance financière (celle qui permet de tenir dans le temps), le Lean permet de voir grandir les compétences de toute l’équipe, à chaque victoire (même petite), à chaque kaizen (toujours humble), à chaque idée (surtout perspicace). Les murs deviennent management visuel, les tests dans le code s’enrichissent en dimension (qualité, intégrité, performance, sécurité), les PDCA se sédimentent dans nos socles techniques et les cadres se transforment en réflexe.
- « un par semaine » pour s’épargner le rush de la fin de l’année ;
- « revenir à la demande initiale » pour arrêter de s’énerver sur un plan qui déraille ;
- « se limiter à 3 tâches ouvertes » plutôt que de bourrer le planning en espérant que ça puisse passer sur un malentendu.
Et puis ces lunettes Lean permettent de voir un peu plus loin : je suis toujours surpris de leur puissance quand on visite d’autres entreprises. Des pleins et des vides dans un entrepôt mettront en exergue la question des stocks et donc de la trésorerie (et je ne parle pas de la poussière sur les étiquettes 09/2024 des cartons de l’allée B29 dans la masse). Des objets qui trainent astucieusement dans un coin trahiront le peu d’entrain d’une direction aux conditions opérationnelles (surtout quand il s’agit d’un tournevis permettant de bloquer la porte roulante lors des longs déchargements). Des tableaux bien lisses et impeccables dans l’Obeya expriment haut et fort les manques de communication et d’alignement au sein d’un comité de direction (puisque tout le monde évite soigneusement les vagues et les sujets qui pourraient froisser des susceptibilités).
Cette tournure d’esprit commune, héritée d’une longue et robuste tradition et enrichie par des échanges réguliers avec d’autres praticiens Lean lors de gembas croisés ou de conférences, est un véritable trésor pour qui veut ancrer sa boîte dans le temps : entre robustesse du long terme et émerveillement du quotidien, elle propose un excellent compromis pour entrepreneur dans l’âme. Et c’est surtout celle que j’ai choisie pour la décennie à venir…
Perrick Penet
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