Ce matin, j’ai eu un échange particulièrement déprimant avec un dirigeant. Il me dit, d’un ton las :
« Laisse tomber, Sophie… tu sais, ce sont des opérateurs. Ça ne les intéresse pas d’améliorer la performance. Ils vont te répondre qu’on est déjà au maximum, et que les problèmes qui restent viennent des clients ou des fournisseurs. Ils sont débordés, épuisés… ils n’ont ni le temps, ni la motivation pour se développer. »
Je comprends sa lassitude. Quand on vit au quotidien les urgences, la pression des clients et des investisseurs, l’incertitude des marchés … et qu’on subit en parallèle la lenteur de l’exécution des décisions par le terrain, la lourdeur de chaque demande de changement… il y a de quoi se sentir découragé. La tentation est grande de se simplifier la vie en se concentrant sur ce que maîtrise un dirigeant : l’achat d’un nouvel outil, les changements de processus, le management de son codir.
Et il y a une part de vrai : oui, beaucoup d’équipes sont fatiguées et démotivées.
Mais j’ai essayé malgré tout de réfléchir avec lui à une autre voie, en m’appuyant sur la force du Lean Management. Que pouvais-je lui dire ?
Je me suis raccrochée à la phrase prononcée par plusieurs dirigeants Toyota (Fujio Cho par exemple, ancien président de Toyota) : « First we build people, then we build cars. »
Cela tombait bien, car ce dirigeant était un passionné d’automobile, admirateur de la marque Toyota. Nous avons convenu ensemble que :
- Toyota reste une référence mondiale grâce à des résultats financiers et opérationnels stables depuis des décennies, là où beaucoup de concurrents vacillent en période de crise. Sa qualité produit est constamment reconnue par les études de fiabilité, avec des véhicules parmi les plus robustes du marché.
- Le Toyota Production System continue d’être l’étalon-or étudié et copié partout, mais rarement égalé.
- Enfin, sa culture de développement des personnes par la résolution de problèmes lui donne une capacité d’innovation et de résilience unique dans l’industrie.
Mais comment passer de cette grande entreprise industrielle japonaise à la réalité d’un département d’une entreprise française ?
Mon dirigeant penchait pour faire réaliser un diagnostic, afin de comprendre pourquoi ses équipes étaient si peu motivées pour sortir de leur routine.
Je lui ai proposé de commencer tout simplement par la dernière réclamation client. Réunir les équipes concernées. Chercher ensemble la cause racine. Pas pour chercher un coupable mais juste pour comprendre.
C’est ça, le premier pas Lean : rendre visible un problème réel, et le résoudre collectivement.
Le mois dernier encore, une équipe administrative que je connais bien s’est attaquée à un sujet qui traînait depuis longtemps : des factures impayées. En quelques semaines, en allant chercher la cause racine avec les personnes concernées, ils ont réussi à débloquer plus de 100 000 € de cash. Mais surtout, ils ont retrouvé une fierté : celle d’avoir montré qu’ils pouvaient, ensemble, régler un problème qui plombait leur boîte depuis longtemps.
Et si on osait ?
Oui, les équipes sont fatiguées. Oui, leur tentation est grande de tout expliquer par le manque de temps ou la faute des autres. Mais je le vérifie chaque fois : contrairement à ce que l’on pense, les personnes sont bien plus souvent intéressées à apprendre, progresser, contribuer… quand on leur propose une démarche visuelle et sécurisante.
Voilà pourquoi je continue de croire que l’avenir du Lean, ce n’est pas de mieux contrôler les process, mais d’ouvrir un chemin pour que les personnes, elles aussi, puissent se développer.
Oui, les équipes sont fatiguées. Mais les considérer uniquement comme des exécutants usés, c’est se condamner à gérer toujours plus de problèmes. Le Lean propose une autre voie : redonner aux personnes la capacité d’apprendre et d’améliorer. Alors, non ! On ne laisse pas tomber !
Sophie Lasserre
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