Apprendre à apprendre… sérieusement (et réduire les pannes d’escaliers mécaniques)

Apprendre à apprendre… sérieusement (et réduire les pannes d’escaliers mécaniques)

Il y a quelques semaines, à peine débarquée de l’avion de retour du Japon, la première chose que j’ai entendue était “Bienvenue en France ! ». Une phrase prononcée sur un ton exaspéré par un passager arrivant au pied de l’escalier mécanique qui était… en panne.

Sans tomber dans la caricature, il est frappant de constater cette différence que tout le monde remarque rapidement : au Japon, tout fonctionne, même les machines anciennes, alors qu’en France, pas un jour sans tomber sur une machine en panne quelque part dans notre environnement ou une opération qui ne réussit pas du premier coup.

Pourquoi une telle différence entre ces deux pays qui font tous deux partie du top 10 des pays les plus riches au monde ?

Dans son éditorial du mois dernier, Michael Ballé évoquait le sérieux des entreprises japonaises dans leur façon de tenir leurs objectifs, sans lâcher. De mon côté, j’ai été impressionnée par ce même sérieux, dans l’écosystème Toyota, au sujet de l’apprentissage.

Si vous suivez régulièrement nos publications, ici et ailleurs, vous avez sans doute lu que, pour nous, le Toyota Production System (TPS) est avant tout un système d’apprentissage – c’est d’ailleurs cette vision qui nous différencie d’autres façons de considérer le lean. Le TPS est un cadre qui guide le regard que nous portons sur les entreprises, il nous aide à réfléchir et à identifier les sujets sur lesquels il est important d’apprendre pour soutenir l’entreprise dans sa croissance et son développement.

Que permet-il d’apprendre ?

  • Apprendre à aider nos clients en s’approchant des usages et besoins réels ;
  • Apprendre à établir la confiance entre le management et des équipes stables, dotées du nécessaire pour réussir au quotidien ;
  • Apprendre à établir la confiance dans le travail et inciter les collaborateurs à l’améliorer ;
  • Apprendre à approfondir la maîtrise technique pour réussir du premier coup ;
  • Apprendre à intensifier la collaboration afin de mettre le flux de travail en phase avec la demande.


Comment cela se traduit-il sur le gemba ?

  • Sur un quai de départ d’une usine, voir un meuble sur lequel il manque une vis permet de se poser des questions sur les points à mieux maîtriser en termes de qualité dans le process et de contrôle de la qualité des produits ;
  • Dans un nouveau bâtiment, découvrir un panneau électrique installé dans un recoin inaccessible conduit à s’interroger sur ce qu’il faudrait apprendre pour que la collaboration soit meilleure entre les équipes qui ont conçu les plans du bâtiment, celles qui ont posé ce tableau, les futurs utilisateurs et les équipes qui doivent en assurer la maintenance ;
  • Voir des couches de poussière accumulées sur des bacs de pièces dans des stocks ouvre le sujet de ce qu’il faut apprendre à mieux gérer dans les relations avec les fournisseurs en termes de taille de lots et/ou avec les gestionnaires de l’ERP (ou les deux !) ;
  • Et donc voir que les escaliers mécaniques tombent souvent en panne montre qu’il y a sans doute des choses à apprendre sur la manière d’aborder la maintenance ! Avec des conséquences à en attendre sur le niveau de satisfaction des clients et sur le chiffre d’affaires quand la situation va s’améliorer.

Car ces apprentissages faits par les équipes ont des impacts clés sur les comptes de l’entreprise. Si la qualité s’améliore, la productivité aussi. Si la collaboration se développe, le ROA également. Si les stocks tournent davantage, le cash rentre plus vite.

Autant d’observations qui renvoient donc à la question : que faut-il apprendre pour que cela se passe mieux pour tout le monde dans la création du flux de valeur, des fournisseurs aux équipes et jusqu’aux clients, et que l’entreprise au global se porte mieux ? Une question que chaque dirigeant peut se poser. Une réponse que le lean aide à cadrer.

Ce que nous avons vu lors de notre voyage d’étude au Japon, dans l’écosystème Toyota, montre que sur ce sujet de l’apprentissage, là aussi, ces entreprises sont sérieuses.
Chez un des fabricants de moules et de pièces en plastique, l’un des sujets clés pour réussir les pièces est la maîtrise de la matière plastique. Au milieu de l’atelier se trouve donc une « école du plastique » dans laquelle chaque membre de l’entreprise va venir apprendre ce qu’il faut savoir pour maîtriser cette matière, aux différentes étapes de la fabrication du produit. Cela va de l’exposition des différents granulés de plastique utilisés, à la façon dont la matière se comporte au chauffage comme à l’assemblage, affichée en grand sur des posters (comme chez Alliance Mim), jusqu’à la défauthèque qui permet de sensibiliser chacun aux défauts possibles à repérer sur les pièces. Il ne s’agit pas d’une école pour les équipes de la R&D ou pour les ingénieurs, mais d’une école pour tout le monde, quel que soit le poste occupé.

Chaque personne qui intègre l’entreprise est formée dans cette école puis y revient régulièrement pour en apprendre encore plus sur le sujet et réussir à mieux faire son job en comprenant mieux cette matière plastique qu’il travaille chaque jour.

Dans une autre entreprise, la fréquence des changements de moule est clé pour s’ajuster au mix-produit des clients, piloté par les kanbans et les 30 camions qui passent prélever les produits chaque jour. Les équipes y apprennent donc sans cesse, à travers des kaizen, à réduire la durée de changement de moule (SMED). Déjà descendus à moins de 15 minutes depuis plusieurs années, leur cible est maintenant de faire un changement de moule en 5 minutes sur des lignes de machines qui comportent 4 opérations. Leur progression sur ce sujet au fil des mois a, bien évidemment, largement contribué à l’amélioration conséquente du chiffre d’affaires de cette entreprise, qui a doublé en trois ans grâce à cette stratégie d’accumulation de petits efforts partout dans l’usine, tout le temps.

Dans une troisième société, ce sont les changements (henkaten) qui impactent les équipes qui sont les points de départ des apprentissages. L’enjeu est d’apprendre à mieux gérer tous les types de changements qui ont des conséquences sur le travail des équipes au quotidien, en utilisant la grille des 4 M (matière, main d’œuvre, méthode, machine). L’objectif : devenir plus agile dans les réponses à y apporter sans ajouter de Muri (stress) et de Muda (pertes). Donc repérer les changements qui provoquent des dysfonctionnements dans le flux du travail et apprendre à les résoudre chaque jour. Encore des gains en termes de productivité ou de ROA pour l’entreprise à mesure que les équipes apprennent.

Les éléments du lean – cadre d’observation, modes de raisonnement, gammes d’outils pour détecter les dysfonctionnements, les rendre visibles et apprendre – sont accessibles à toutes les entreprises qui veulent s’améliorer sérieusement en devenant des organisations apprenantes.
Alors pourquoi si peu d’entreprises s’en emparent-elles ? Pourquoi y a-t-il toujours plus d’escaliers mécaniques en panne en France ?

La réponse est évidemment multifactorielle. Les causes sont à la fois individuelles, collectives, organisationnelles, administratives, institutionnelles, culturelles, … Pourtant les entreprises qui se sont lancées dans le lean et investissent dans le développement de leur capital humain en favorisant les apprentissages, chaque jour, se portent souvent mieux que leurs concurrents, au Japon comme en France.

Qu’ont fait ces entreprises pour se lancer ? Leurs dirigeants ont commencé par aller sur le terrain pour essayer de voir ce que leur entreprise ne savait pas bien faire, l’accepter, le comprendre et apprendre à faire autrement, avec leurs équipes. C’est le point de départ pour devenir une organisation apprenante. Un point de départ qui va permettre peu à peu de craquer les autres points durs en travaillant avec chacun dans l’entreprise, autour des challenges définis collectivement pour amener l’entreprise à se développer dans le long terme. Et faire en sorte que les escaliers mécaniques ne tombent plus en panne.

Comment se lancer ? Comment progresser ? D’ici les vacances d’été, venez découvrir, discuter, réfléchir sur ces sujets en participant à nos événements. Vous y rencontrez des dirigeants qui ont fait ce premier pas et ont vu leur entreprise se transformer, peu à peu devenir une organisation apprenante et gagner en compétitivité.

Anne-Lise Seltzer

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