À 37 ans, j’étais au bout du rouleau. Dix ans à tout donner pour bâtir une entreprise solide, humaine, mais le chaos avait pris le dessus : tensions, épuisement, passion envolée.
Ça avançait, mais j’avais perdu une partie du sens : j’étais devenu un pompier, et j’éteignais des feux à longueur de journée. J’avais le sentiment d’être en permanence focus sur les problèmes, réglés à coups de contre-mesures court terme, et de ne pas réussir à construire sur le long terme. L’inverse d’une croissance saine, qui pourtant était mon idéal. C’est alors que j’ai découvert le Lean.
Une claque nommée Lean
En 2020, alors que mon modèle d’entreprise libérée était à l’agonie, un ami m’a parlé du Lean avec passion. J’avais vaguement entendu parler du terme mais ça s’arrêtait là. Il m’a présenté Régis Medina, un sensei, et sa manière d’aborder l’entreprise m’a donné envie d’aller plus loin. J’ai alors suivi une formation avec lui dans son programme Learning to Scale.
Je pensais que déjà on faisait « un peu de Lean ». En fait, on confondait tout, avec des mouvements désordonnés et des progrès éphémères, du bon sens mais pas sur les bons sujets. Certes l’envie était là, mais ingénierie et apprentissage manquaient totalement à l’équipe.
La formation a été une claque. J’ai alors dévoré les ressources de l’Institut Lean France, un véritable trésor pour comprendre la profondeur du Lean, et sa théorie tirée directement de l’expérience de Toyota.
Passer à la pratique, c’est encore autre chose.
Enfant, je passais des heures plongé dans Tom Sawyer, accro à ses aventures et à sa malice. J’ai fait mienne une de ses maximes : «Le secret pour avancer, c’est de commencer.»
J’ajouterai : même si ça secoue, fort !
Et on a perdu la moitié de l’équipe en un an : changer la culture, effectivement, ça percute.
Un sensei pour éclairer le chemin
Travailler avec un sensei a tout changé. J’ai rencontré Benjamin Garel au Lean Summit organisé par l’ILF. Il était speaker et racontait sa mission en tant que directeur du CHU à Fort de France. Les résultats obtenus grâce au Lean et à son talent m’ont époustouflé.
Il est devenu mon sensei.
Ses visites mensuelles, au début, mettaient l’équipe en tension – peur d’être jugé, peur de ne pas être à la hauteur. Mais ses questions, dérangeantes souvent, et pertinentes toujours, nous ont positionnés sur les bons apprentissages.
Un jour, il m’a demandé : « Es-tu au courant que sur ce poste clé, Monsieur YY est en souffrance ? » Le collaborateur en question est un ami, et Benjamin avait raison.
Cette question m’a forcé à voir les choses en face, à me confronter à mes limites du moment (je savais et je ne faisais rien), à réorganiser ce poste stratégique, et à développer mes compétences.
Ses interventions, tout comme les échanges inspirants de la communauté Lean, notamment l’ensemble des posts Linkedin, d’une qualité rare, ont été un catalyseur pour transformer nos pratiques et viser une croissance durable.
Transformer l’anxiété en énergie
Un matin, Clara, notre team leader du service client, a tiré l’Andon.
« Madame O. est furieuse ! »
Cette cliente fidèle avait commandé un meuble en chêne à plusieurs centaines d’euros, et la livraison était un fiasco : le livreur s’était présenté avec 24h de retard et un colis abîmé. Une petite anxiété régnait dans la salle de réunion car on avait déçu une cliente, et cela nous pesait car ce n’était pas un cas isolé.
On a réuni l’équipe – logistique, service client, produit – pour plonger au cœur du problème. Ce qu’on a découvert nous a piqué au vif : nos packagings étaient défaillants, et notre transporteur loin des standards que nous pensions offrir à nos clients.
On a tout repris de zéro, travaillé main dans la main avec les fournisseurs et notre transporteur, dans des boucles de kaizen pendant 4 mois. Résultat ? Des livraisons fiables, un lead time réduit de 50 %, une expérience client transformée, et une équipe galvanisée.
Révéler le potentiel des gens
Le vrai déclic, je l’ai eu avec Christophe. Autodidacte et couteau suisse, il est entré dans la société à la suite d’un concours de circonstances, pour gérer la logistique et un projet d’ERP chimérique.
Avec le Lean, il s’est formé et développé. Aujourd’hui, il gère la supply chain d’une main de maître. Le voir présenter un nouveau flux logistique le mois dernier devant notre partenaire, avec une assurance bluffante, m’a rempli de fierté. « Je n’aurais jamais cru pouvoir faire ça avant », m’a-t-il dit.
Ce jour-là, j’ai compris que le Lean, c’est aussi révéler le plein potentiel des gens. Ça tombe bien, c’est également ma vision de la vie : pousser son potentiel à son meilleur niveau.
Sortir de ma bulle
Le Lean m’a forcé à me confronter à moi-même. Solitaire par nature, j’aimais le calme de mon bureau.
Mais le Lean m’a poussé à aller beaucoup plus régulièrement sur le terrain. J’y passe désormais 60 % de mon temps. Il y a un rituel le lundi matin auquel j’aime bien assister, c’est le weekly check où chaque collaborateur, par équipe, affiche ses objectifs pour la semaine à venir (résolution de problèmes à organiser, kaizen à avancer, tests à mettre au point).
C’est un moment d’alignement fort : on partage ses défis et parfois aussi ses doutes. Y assister, c’est comprendre à quoi les équipes font face, sentir le pouls de l’entreprise.
Le Lean m’a sorti de ma bulle, et j’y prends un plaisir fou.
Une boussole pour voir loin, ensemble
Cinq ans plus tard, les résultats parlent : + 40 % de chiffre d’affaires en 2025 dans un marché baissier, une note Trustpilot passée de 3,5 à 4,7/5, un coût de la non-qualité divisé par deux et un lead time livraison réduit de 50 %.
Et grâce à la robustesse que le Lean nous apporte, nous intégrons simultanément 2 entreprises et envisageons avec sérénité de nouveaux projets d’acquisition.
Le Lean nous permet de voir plus loin car la maîtrise de nos métiers s’améliore chaque jour, et surtout nous savons affronter les défis en équipe. Car plus qu’un groupe, l’esprit chez nous est familial, quelle satisfaction d’avoir une équipe, unie par des valeurs communes fortes, fière, guidée par des mantras affichés sur nos murs :
« Apprendre ensemble pour créer des sourires »,
« La réussite d’un projet dépend de la communication et collaboration entre ses membres » !
Ces mots, sont des rappels de ce que l’on a créé et que l’on veut défendre et renforcer par notre pratique.
Le Lean a transformé l’entreprise en un flux ordonné même si imparfait, où chaque pièce trouve sa place, et où l’équipe avance en rythme, ensemble, pour s’améliorer.
C’est ma boussole face aux tempêtes : covid, coûts des containers, marché en baisse. C’est une philosophie qui prouve qu’innovation, croissance et respect des personnes peuvent aller de pair. En atteste l’insolente performance de Toyota.
« Apprendre ensemble pour créer des sourires » est le cap que toute l’équipe suit avec confiance, portée par la certitude que nous sommes sur le bon chemin. C’est avec beaucoup de satisfaction que je peux attester aujourd’hui que j’ai retrouvé la passion de ce que je fais, que l’équipe aussi prend plaisir à relever les défis qui se présentent, et que nous sommes plus exigeants et résilients face à nos problèmes. Si bien que l’entreprise est plus solide.
Je suis reconnaissant d’avoir eu la chance de pratiquer le Lean et en tant que membre de l’ILF, j’invite tous les entrepreneurs et managers responsables et ambitieux à considérer cette voie. Le jeu en vaut la chandelle.
Pierre Leblond
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