Comment engager et former l’encadrement au Lean?

La vraie question, c’est : engagé sur quoi et formé à quoi? Il y a beaucoup de sortes de « Lean », mais si je regarde les expériences les plus réussies que je connaisse, les leaders voient le lean comme un système pour apprendre à apprendre (ce qui, comme l’explique en fait John Shook dans son livre Managing To Learn , est la clé du succès durable de Toyota).

Apprendre à apprendre – ça veut dire quoi? Les leaders qui adoptent le lean comme une méthode globale de management ont conscience que les conditions de l’activité changent tout le temps et qu’il est difficile de savoir s’adapter en permanence pour réussir. Par exemple, une entreprise que je connais subissait une telle pression sur les prix de la part de ses principaux clients (de gros OEM) que les relations de travail avec eux se sont dégradées, et qu’elle a développé en seulement quelques années un nouveau réseau de clients plus petits avec qui elle a pu bâtir des relations plus collaboratives et plus profitables. Une fois affirmée l’intention de le faire, le responsable de cette entreprise reconnait qu’il ne savait pas au départ ce qu’il fallait changer dans ses processus pour être capable de convaincre des partenaires plus petits et trouver de la place pour une relation gagnant-gagnant. Pour ce PDG, le lean était la méthode pour d’abord découvrir quelle était la performance qu’il devait changer, adapter, et ensuite pour travailler avec ses équipes pour apprendre à le faire rapidement.

Du point de vue du leader, deux questions distinctes se posent :

  1. Que visons-nous avec le Lean? Les leaders Lean cherchent les enjeux clés de l’activité qui, s’ils sont résolus, vont entraîner l’entreprise vers un niveau de performance supérieur.
  2. Comment mettons-nous en œuvre le Lean? Le Lean est aussi une pratique pour engager les équipes dans les ateliers à explorer ces défis et à trouver des solutions locales, que le leader pourra ensuite appréhender au niveau global de son activité

 

Faire face aux problèmes

Les principes du Lean engagent les leaders en les obligeant à faire face aux problèmes de performance que l’organisation ne connaît pas ou ne veut pas affronter. Sur le gemba, le sensei désigne:

  • Les problèmes de sécurité dont tout le monde pense que les employés peuvent vivre avec : en prêtant attention aux accidents, on révèle des problèmes de sécurité dont personne ne pense qu’ils sont réellement traités. La semaine dernière, j’étais dans une usine dans laquelle un opérateur est tombé en traversant la cour sous la pluie – que peut-on bien y faire ? Eh bien, en y regardant de plus près, nous avons vu que la surface n’avait pas été entretenue depuis des années et était pleine de nids de poules
  • Les problèmes de qualité client dont tout le monde pense qu’ils sont trop rares ou trop chers à résoudre : l’entreprise néglige trop de plaintes clients car elle pense que les clients n’utilisent pas le produit ou le service tel que supposé ou stipulé dans le contrat – après tout, le client est censé savoir ce pour quoi il a signé. C’est sûr, mais cela ne l’empêche pas de se plaindre, ce qui signifie qu’il recherche une alternative
  • Les stagnations dans le processus dont tout le monde pense qu’elles sont inévitables : essayez de passer de livraisons internes en transpalettes à des prélèvements toutes les 20 minutes à l’aide d’un « petit train ». Cette technique Lean très simple révèle immédiatement si vous êtes organisé pour le stockage ou pour la livraison. Sinon, vous pouvez également essayer de diviser par deux la taille de vos lots, et vous verrez si vous êtes organisé pour des prix unitaires faibles ou pour des coûts globaux optimisés.
  • Réagir au plus près de là où le défaut est généré : dans la plupart des entreprises, les pièces défectueuses sont mises de côté, isolées, traitées, triées, les principales sont analysées, etc… Le Lean vous enseigne à réagir au plus près de chaque défaut généré, et de découvrir ainsi les vraies sources de pertes de productivité. Cela vous montre si votre organisation est conçue pour gérer la non-qualité, ou pour la réduire.
  • Faire en sorte que les équipes sur le terrain analysent leurs propres méthodes et imaginent de meilleures manières faire : sur le gemba, les leaders constatent immédiatement que les processus conçus par le corporate ne collent pas nécessairement aux spécificités locales.

Cependant, libérer (et soutenir) les équipes pour qu’elles prennent possession de leurs propres méthodes de travail génère des problèmes organisationnels sans fin, des guerres de territoire, des comportements de défense, etc… Le manque de flexibilité technique reflète souvent un manque de flexibilité managériale.

Le Jackpot

En appliquant les principes du Lean sur le gemba, les leaders font profondément corps avec leur activité en découvrant des problèmes qu’ils ne voyaient par auparavant. Par exemple, un problème vu comme un manque de fiabilité des prévisions du commerce apparaît maintenant comme un manque de flexibilité de la production, et un manque de savoir-faire dans la planification d’une production lissée.

Le jackpot réside dans l’exploitation des principes Lean génériques tels que la sécurité à tout prix, la totale satisfaction du client, le juste à temps, le jidoka, le travail standardisé et le kaizen pour révéler les enjeux spécifiques de l’activité, comme par exemple apprendre à produire des pièces bonnes du premier coup après un changement d’outil. Nous sommes à la recherche de sujets à fort enjeu : des problèmes précis, difficiles, qui une fois résolus auront un fort impact sur la performance globale de l’activité. La tradition du Lean peut vous aider à chercher au bon endroit, mais certains problèmes resteront spécifiques à votre entreprise, et n’apparaîtront qu’avec un engagement profond de l’encadrement, en lien avec la réalité de ce que l’entreprise réalise.

L’autre spécificité du Lean est que ces problèmes sont révélés et clarifiés en continu par l’acte même de s’engager, avec les équipes qui font la valeur ajoutée directe, pour résoudre les problèmes de performance. Le kaizen aboutit à deux résultats : en résolvant un problème spécifique, les gens en apprennent plus sur leurs propres processus, ce qui clarifie le problème plus profond qu’affronte leur business, etc… C’est pourquoi il est si important que les leaders s’engagent en profondeur dans leurs efforts de kaizen : seuls les managers de haut niveau ont la hauteur de vue nécessaire pour voir au-delà des efforts immédiats du kaizen et de comprendre ce qu’il leur révèle en terme de forces et faiblesses de leurs produits, de leurs employés ou de leurs processus.

En tant que leader, cela signifie apprendre à :

  1. Impliquer la hiérarchie dans le soutien au kaizen, ie apprendre aux managers intermédiaires à comprendre l’impact du kaizen et à changer en conséquence leurs propres pratiques managériales, de manière à intégrer l’apprentissage par le kaizen dans la manière de fonctionner de l’activité.
  2. Impliquer les fonctions support afin que les silos apprennent à travailler ensemble en vue d’améliorer les processus transverses, en fonction de ce qui ressort des initiatives kaizen, et d’intégrer les résultats d’améliorations locales dans la manière dont l’organisation fonctionne au global.

 

Main dans la main

Le leader doit non seulement s’engager dans son activité de manière globale à travers le kaizen sur le gemba, mais aussi apprendre à amener son organisation à tirer les enseignements des résultats des kaizen – ce qui n’est pas une mince affaire. Les deux aspects sont extrêmement difficiles à réaliser par vous-mêmes, et le coaching par un sensei est souvent critique pour apprendre à:

  • Se concentrer sur le client : la pression des opérations a tendance à focaliser l’attention vers l’intérieur, et trop souvent le Lean est discuté pour lui-même et pas pour les leviers de performance qu’on recherche vraiment. C’est comme confondre l’échafaudage et le bâtiment
  • Voir ce qui est présent et ce qui ne l’est pas: visualiser le processus idéal tout en inspectant le détail de l’existant. Voir ce qui est réellement présent est déjà assez difficile, mais voir ce qui est absent nécessite une longue expérience.
  • Comprendre le truc du pilotage visuel pour exprimer les enjeux du business de manière concrète sur le terrain : pilotage visuel physique, prévu/réalisé, résolution de problèmes, activités kaizen, etc… Le Lean a une longue tradition du pilotage visuel, et il serait idiot de vouloir tout réinventer à chaque fois.
  • Utiliser les problèmes comme des opportunités d’apprentissage, pas comme un moyen de pressurer les équipes pour livrer plus : transformer les problèmes en moments d’apprentissage est une compétence acquise, qu’il est difficile d’apprendre par soi-même, en particulier quand on se sent également responsable du résultat.

L’engagement vient de la découverte de nouvelles zones d’amélioration de ce que nous pouvons faire pour nos clients, et du travail en équipe pour établir de nouvelles méthodes de travail. La formation consiste à apprendre en faisant, sous la houlette d’un sensei, qui va vous indiquer les sujets d’apprentissage intéressants et vous donner les bons exercices de développement – les deux se font main dans la main.

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