Aller de l’avant

Aller de l’avant

Dans une transformation Lean, est-il vrai que l’important, c’est d’aller de l’avant ?

En fait, l’important est l’apprentissage que vous tirez de vos initiatives. Sinon, c’est juste du mouvement – et si vous n’allez pas dans la bonne direction, vous régressez. L’intérêt fondamental du  PDCA ne réside pas seulement dans le « Plan » (la direction dans laquelle on veut aller) ou le « Do » (le pas en avant), mais également dans le « Check » (cela se passe-t-il comme prévu ?) et le « Act » (les enseignements que l’on en tire). Aller de l’avant juste pour bouger n’a en fait pas de sens.

Augmenter votre production ne produit pas nécessairement du résultat. Socialement, c’est difficile car les gens ont envie d’avancer, de faire des choses, d’en découdre. Mais il est probable que le plus facile soit de prendre le chemin de moindre résistance (bien que la personne qui fait effectivement le boulot ne le trouve pas si facile). De manière analogue, toute avancée dans la bonne direction s’avère en général être un chemin bien plus ardu.

Prenons l’exemple des problèmes qualité. Imaginez un processus qui livre en retard du fait d’une qualité non maîtrisée. Le chemin de moindre résistance est d’augmenter la production et de mieux inspecter et filtrer à la sortie. Ce faisant, votre rendement diminue (le ratio des produits bons sur la totalité de la production), votre résultat en terme de livraisons augmente (moins de clients mécontents), MAIS vous perdez à la fois de nombreuses opportunités d’apprentissage, ainsi que vos chances de résoudre vos problèmes fondamentaux.

D’un autre côté, il est très difficile d’identifier la cause primaire, la cause racine, et d’imaginer une réelle contremesure. Cela nécessite une réelle curiosité d’esprit et de l’imagination – et tout cela alors que dans le même temps vous ne livrez pas vos clients. C’est dur. Mais choisir la première option n’est pas forcément incompatible avec la première, du moment que le « Check » (comment évolue le taux de « bon du premier coup ») est fait correctement, et débouche sur le bon « Act », qui est de ne pas confondre solutions provisoires de contingentement et règles de fonctionnement.

Avancez prudemment

Le problème est déjà suffisamment ardu sur du travail routinier, alors imaginez la même chose en conception ou en marketing. Dans bien des situations, il n’est pas aisé de détecter quelle est « la bonne direction ». Combien de fois avons-nous vu des produits nouveaux dont les ingénieurs étaient très fiers, mais dont les clients n’ont pas voulu (exemple de Coca), ou de rebranding raté (vous souvenez-vous combien de temps a tenu le nouveau logo de GAP ?). Les ingénieurs et les concepteurs qui commettent des erreurs coûteuses sont persuadés qu’ils font du bon boulot (il est difficile de juger de son propre manque de talent ou d’inspiration), mais quand-même…

Un pas en avant n’est une avancée que s’il va dans la bonne direction. La question est bien souvent : quelle est la bonne direction ? Heureusement, le Lean apporte quelques critères spécifiques pour nous permettre d’y voir plus clair.

Premièrement, mettez-vous debout sur les épaules des géants: ne vous embarquez pas tout seul dans le brouillard. Créez de l’émulation en vous comparant au meilleur de vos concurrents, au meilleur produit, à la meilleure conception. Pas pour copier bêtement, mais bien pour comprendre les choix sous-jacents. Quand Toyota a conçu la première Lexus, le but était d’avoir la performance d’une BMW avec le confort d’une Cadillac. OK, la première Lexus ressemblait furieusement à une Mercedes mal finie, mais elle a eu un succès incroyable parce-que les ingénieurs ont mis toute leur énergie dans la résolution de problèmes d’utilisation plutôt que de chercher à réinventer le concept de voiture de luxe. Le résultat a été une marque de voitures de luxe que de nombreux conducteurs considèrent comme simplement la meilleure.

Deuxièmement, itérez : comprenez bien le type de produit auquel vous vous attaquez, et ayez une vision claire de :

  1. La performance: les fonctions que le produit promet de fournir
  2. La qualité : le produit tient-il ses promesses
  3. Coût : combien pour tout cela ?

Comprendre un flux de produits signifie que certains aspects techniques sont dans les standards habituels, alors que d’autres vont nécessiter des efforts importants. L’important est d’être très attentif aux changements d’architecture qui peuvent changer radicalement la perception du produit par les clients, sans même que les concepteurs s’en rendent compte au début.

Troisièmement, hansei: acceptez que chaque maman trouve qu’elle a le plus beau bébé, et c’est pourquoi il est essentiel d’envisager l’étape suivante dès la fin de l’itération (ou du simple Kaizen). Penser au prochain Kaizen vous aidera à mieux évaluer celui que vous venez de terminer (y compris les biais de confirmation que vous pouvez avoir) et de vous préparer mentalement à considérer que votre grande avancée n’était après tout pas si spectaculaire.

Les questions qui fâchent

Votre question sous-tend implicitement trois enseignements de la pensée Lean :

  1. La pensée Lean est exigeante, toujours : personne n’aime entendre que ses efforts sont inutiles, en particulier s’il a travaillé dur pour y arriver. Mais « les problèmes d’abord ». Si vos interlocuteurs refusent d’être challengés sur le « Pourquoi » et veulent seulement être adoubés sur le « Quoi », alors vous êtes mal. Le Lean est exigeant, c’est l’un de ses principaux mérites (et c’est parfois ingrat, car nous préférerions de loin être amis avec tout le monde)
  2. Le Kaizen signifie des expérimentations répétitives, pas d’essayer une fois pour ensuite passer à autre chose : les expérimentations sont des activités planifiées dont le but est l’apprentissage. Trop souvent voit-on des expérimentations abandonnées à la première difficulté. Les gens les qualifient trop vite d’échecs… pour ensuite essayer autre chose ailleurs. Le vrai Kaizen n’apparaît que quand les gens ont enfin trouvé eux-mêmes comment résoudre un problème technique qui les empêchait de fournir plus de valeur pour le client. En général, le Kaizen n’est rien d’autre que le résultat de tentatives multiples de résoudre un problème, et n’a rien à voir avec la chance (sauf parfois au début quand il s’agit de collecter les « fruits mûrs »)
  3. Une direction claire est essentielle pour le Kaizen : sans une direction claire pour montrer où on veut aller, pour savoir si une solution est valide ou pas, les gens sont souvent perdus dans le feu de l’action, et le résultat est qu’ils se retrouvent involontairement en train de suivre le chemin de moindre résistance au fond de la vallée de la médiocrité – et du coup, pas d’avantage compétitif (n’avez-vous pas remarqué que tous les sites web se ressemblent?)

Oui, un pas en avant peut s’avérer contreproductif, car il peut vous éloigner de votre but. Oui, il est facile de dire « Bravo » aux gens juste parce qu’ils ont bougé et que vous ne voulez pas les démoraliser et bloquer leur créativité – il se peut qu’ils n’essaient plus jamais rien de nouveau. Oui, c’est un dilemme qui ne peut être résolu que par une culture rigoureuse de « Plan-Do-Check-Act », sans laquelle vous pouvez passer votre vie à mener des « expérimentations » Kaizen, et vous retrouver quand même là où vous ne vouliez pas aller – avec en plus les gens agrippés à leurs propres idées reçues.

Il y a bien longtemps, les senseïs avaient coutume de froncer les sourcils et de poser les questions qui fâchent au sujet des efforts Kaizen :

  • Quel était le problème que vous avez essayé de résoudre ? (Oui, je vois bien que vous avez mis en place un système de kanban, j’ai déjà vu des systèmes de kanbans, mais quel était le problème que vous avez essayé de résoudre ?)
  • Quels points techniques spécifiques avez-vous appris ce faisant ? (dans quelle mesure cela apporte-t-il plus de valeur pour le client ou rend-il le travail de l’opérateur plus facile ?)
  • Avec qui avez-vous travaillé pour définir cette solution et qu’en pensent-ils ? (et qu’ont-ils appris ?)

Jamais facile, mais des réflexions tellement plus profondes !

 

Traduit de l’américain par François Lopez. Téléchargez la version PDF ici.

La version originale en anglais est à retrouver ici.

 

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